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je ne me charge de cette enquête que pour des raisons qui me sont personnelles.

Le lendemain, un peu après la nuit tombée, on aurait pu voir le petit homme se glisser en tapinois le long de la clôture basse qui défendait par derrière la propriété Roquelin, puis s’appuyer des deux mains sur cette barrière et s’élancer par-dessus pour retomber d’un bond sur l’herbe de la cour. C’était assurément la conduite d’un voleur de poulets plutôt que celle du secrétaire d’une compagnie respectable.

Le tableau qui s’offrit à ses yeux de l’autre côté de la barrière n’était pas de nature à lui réconforter l’esprit. La vieille maison se détachait notre et silencieuse sur un ciel d’ardoise que traversait, comme dernier adieu du jour expirant, une seule raie étroite et longue de pâle clarté. Aucun signe de vie, aucune lumière aux fenêtres, pas de chiens dans la cour.

Il s’avança jusqu’à une petite case située à quelque distance de la maison. A travers ses fentes nombreuses, le muet d’Afrique lui apparut pelotonné devant la flamme vacillante d’une souche de pin, profondément endormi. Son parti fut pris assez vite d’entrer dans la maison ; à cet effet, il s’arrêta pour l’examiner de loin minutieusement. S’il abordait la véranda par les larges marches de derrière, il risquait de rencontrer quelqu’un à moitié chemin. Il mesurait des yeux l’un des piliers qui la soutenaient en se demandant s’il était possible d’y grimper, quand un pas retentit. Quelqu’un tira une chaise près de la balustrade, puis parut changer d’avis et se mit à errer de long en large sur la véranda, chacun de ses pas résonnant avec bruit sur le plancher sonore. Le petit secrétaire recula : entre lui et le ciel passait la forme carrée du vieux Roquelin.

White s’assit sur une bille de bois et pour échapper aux piqûres d’une nuée bourdonnante de moustiques, voilà son visage et son cou d’un mouchoir, ne laissant découverts que ses yeux. A peine s’était-il installé ainsi qu’il sentit une étrange odeur, faible comme si elle venait de loin, mais pourtant horrible, insupportable. D’où partait-elle? Ce n’était pas de la petite case, ni du marais, car il était sec comme poudre. L’affreuse odeur ne flottait point dans l’air, elle semblait sortir de terre.

Se levant, il remarqua pour la première fois devant lui un étroit sentier conduisant vers la maison. Une figure approchait... blanche comme un spectre. Avec la rapidité de la pensée, et non moins silencieusement il s’étendit à plat contre la cabane. La stratégie était téméraire et pourtant, impossible de le nier, White avait peur : — Ce n’est pas un spectre, se disait-il, je sais que ce ne peut être un spectre.