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JEAN ROQUELIN

RÉCIT DE LA LOUISIANE.

Dans la première décade du siècle, alors que le gouvernement américain, établi depuis peu, était un objet d’horreur pour la Nouvelle-Orléans, alors que les créoles ne trouvaient pas à leur gré assez d’anathèmes contre ces ignobles innovations : le jugement par jury, les danses américaines, la répression de la contrebande et les proclamations en langue anglaise[1], avant que le torrent de l’immigration anglo-américaine se fût répandu sur le delta, effrayé déjà de ses préludes, on rencontrait à une courte distance de ce qui est aujourd’hui la rue du Canal et considérablement en arrière de la ligne de villas qui bordait le fleuve, sur la route de Tchoupitoulas, une vieille maison coloniale presque en ruines.

Elle semblait se tenir à l’écart de la civilisation, le vaste espace qui avait été autrefois couvert de champs d’indigo étant rendu à l’état sauvage et redevenu l’un des marais les plus pestilentiels qui existassent à cinquante milles de distance. La maison, de cyprès massif, dressée sur des piliers, avait l’air triste et rébarbatif; sa construction solide rappelait un temps plus ancien encore, où chacun avait à veiller à sa propre sûreté, l’insurrection des noirs pouvant

  1. Le premier consul venait de céder la Louisiane (1803) au gouvernement américain, moyennant 15 millions de dollars, dans la crainte de voir la puissance anglaise s’étendre sur le Mississipi.