Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les rochers, sur les parois des grottes, sur les boulders, sur les roches erratiques, partout où un espace libre s’offrait à l’artiste.

De tout temps, les hommes ont cherché à retracer avec une vanité enfantine leurs migrations, leurs luttes, leurs chasses, leurs victoires. L’Egypte nous a transmis sur le granit sa vieille histoire; les rochers de la Scandinavie portent encore l’image des vaisseaux des Vikings; ceux qui entourent le lac des Merveilles, auprès de Nice, montrent des hommes du dessin le plus primitif, on cite en Algérie de curieuses gravures; les Boschismen, que l’on compte à bon droit parmi les populations les plus dégradées du globe, ont tracé sur la pierre, avec une fidélité étonnante, leurs chasses et leurs amours, et dernièrement on signalait à la Société d’anthropologie de Londres les rock-paintings de la Nouvelle-Zélande, dus aussi à une race barbare, mais évidemment très supérieurs comme facture aux ébauches des Boschismen. Ce sont là des faits curieux sans doute, mais qui restent isolés, tandis que, dans les deux Amériques, le nombre des pictographies, les superficies considérables qu’elles couvrent, leur donnent une importance exceptionnelle. Le désir non-seulement de reproduire les événemens qui les ont frappés, mais aussi d’en préciser le sens par des signes conventionnels, par des essais graphiques, souvent par des hiéroglyphes, par de véritables caractères phonétiques ou symboliques, est un des traits les plus remarquables des races diverses qui se sont succédé sur le nouveau continent. Si la date initiale de ces gravures fait défaut, nous pouvons du moins affirmer que leur exécution a continué durant de longs siècles, et que, si les plus anciennes remontent à des époques reculées, sur certains points ces dessins historiques ont précédé de peu l’arrivée des Européens.

Les pictographies abondent surtout dans les régions qui formaient autrefois l’Amérique espagnole : dans le Nicaragua, auprès du volcan éteint de Masaya, dans les États-Unis de Colombie, sur les bords de l’Orénoque, dans le Venezuela, où leur état de vétusté ne permettra bientôt plus de les distinguer. Les rochers du Honduras sont couverts de dessins profondément gravés en creux; dès 1520, les Conquistadores en remarquaient de semblables dans l’isthme de Darien ; et dans l’état de Panama, des falaises entières étaient chargées d’hiéroglyphes sur lesquels il y aurait à faire des études pleines d’intérêt. En parcourant les Montagnes-Blanches entre les villes de Colombus (Nevada) et de Benton (Californie), on rencontre à chaque pas, tantôt des figures d’hommes ou d’animaux, tantôt des signes indéchiffrables. A 20 milles environ au sud de Benton, la route suit un défilé étroit, limité des deux côtés par des rochers presque perpendiculaires. Ces murs de pierre sont couverts de gravures