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ouverts, la queue relevée et arquée : tout témoigne de sa frayeur et de son irritation. L’homme est nu ; la forme de la tête est ronde; les cheveux sont raides et relevés sur le sommet du crâne ; le menton est orné d’une barbiche très apparente; toute la physionomie, franche et ouverte, respire la joie, l’excitation de la chasse. Les femmes avaient les seins très aplatis, les hanches proéminentes; le graveur n’oublie pas ces caractères de la race. Une d’elles, très velue, est placée entre les jambes d’un cerf. Son état de grossesse avancée ne lui a point fait négliger les soins de sa parure ; elle porte au cou un collier ; malheureusement la tête manque.

Il serait facile de multiplier ces descriptions. Sauf une figurine informe trouvée à Solutré et un équidé gravé sur un os provenant de Creswell-Crags (Angleterre), toutes ces ébauches, tous ces essais de gravure ou de sculpture avaient été trouvés dans le midi de la France ; et on pensait que les troglodytes de la Gascogne avaient eu le monopole de l’art, dans les premiers temps où nous pouvons affirmer l’existence de l’homme. Les fouilles de la grotte de Thayngen (Suisse) sont venues modifier ces impressions. Les pierres, les os gravés qu’elles ont mis au jour sont nombreux et importans. Un renne est debout, la tête inclinée vers le sol; il est dessiné avec une précision de trait, avec une connaissance des formes de l’animal véritablement extraordinaire. L’artiste avait atteint une telle perfection que l’on fut tenté d’abord de se demander si l’on n’était pas dupe d’une de ces fraudes, dont les archéologues sont trop souvent les victimes. Mais la surveillance des fouilles avait été incessante; les spectateurs étaient d’honorables savans ; on avait enlevé sous leurs yeux une couche calcaire de plus d’un mètre de puissance; puis on trouvait dans la grotte la reproduction d’animaux disparus depuis de longs siècles, l’ovibos moschatus, par exemple, et la gravure en était si fidèle qu’elle n’aurait pu être l’œuvre que d’un naturaliste. Il fallait donc bien se rendre à l’évidence : dès les temps quaternaires, au milieu des dures lois de la vie, de la lutte pour l’existence, de combats incessans contre les grands pachydermes, les ours, les félins, qui erraient autour de lui, l’homme avait déjà le sentiment ou l’instinct de l’art. Il s’efforçait d’imiter les animaux qu’il voyait, les arbres qui ombrageaient la grotte où il se retirait; et les produits de son industrie, retrouvés après tant de siècles, sont d’autant plus intéressans que cet ouvrier improvisé n’avait, pour aider à son travail, que quelques misérables silex, ou quelques os à peine dégrossis.

Il devenait d’un grand intérêt de rechercher si les résultats acquis pour l’ouest de l’Europe, se vérifiaient également dans d’autres