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être pas une raison pour qu’il se laissât lui-même séduire par une idée qui le dispute presque en subtilité à celle de M. Schneider. Les interprètes vers lesquels il incline se souviennent que l’ibis était consacré à Mercure, le dieu des voleurs, et ils supposent que l’oiseau, participant du caractère de son patron, prête ici son nom pour servir d’emblème aux larcins poétiques d’Apollonius. Il se peut, en effet, que dans les nombreuses critiques qui furent dirigées contre lui ait figuré celle de plagiat, et que Callimaque se soit cru particulièrement fondé à réclamer, soit parce que le second livre des Causes avait servi à la composition du quatrième des Argonautiques, soit à cause d’expressions empruntées.

Ces exemples suffisent. Disons seulement que la plus vraisemblable parmi toutes ces interprétations est encore celle qu’a donnée autrefois Weichert dans son livre sur Apollonius. Il pense qu’on trouvait au poète une certaine ressemblance physique avec l’oiseau dont on lui appliqua le nom. Les habitudes du langage familier ont toujours admis partout ce genre de sobriquets, et la comédie grecque en avait consacré l’usage. C’est ainsi que les Oiseaux d’Aristophane en contiennent une longue liste, où Philoclès, le poète tragique, est appelé Alouette huppée ; Chéréphon, le disciple de Socrate, est surnommé la Chouette. Callimaque lui-même, — et c’est là une assez forte présomption, — dans le prologue de son poème d’Hécalé, qui se rattache à sa querelle, désignait deux de ses ennemis par des surnoms tirés des particularités de leur extérieur. Il appelait l’un Cométès, à cause de sa chevelure, et l’autre Chellon, du nom d’un poisson remarquable par la longueur de ses lèvres.

Quant au poème lui-même, l’imitation d’Ovide ne nous donne aucune lumière. Son Ibis est, en somme, une œuvre assez puérile. Il annonce qu’il va s’envelopper de voiles et de ténèbres : qu’y a-t-il de mystérieux dans cette interminable suite de fables mythologiques, où il énumère tous les genres de mort qu’il souhaite à l’objet de ses malédictions ? À coup sûr, s’il a pris quelques traits à l’original grec, ils y sont noyés. L’élégie satirique de Callimaque devait être plus courte et plus nerveuse. Du reste, le plus important n’est pas d’en rétablir par hypothèse la nature et le contenu, mais de bien distinguer les causes qui lui inspiraient ce morceau de polémique haineuse.

S’il poursuivait son adversaire avec tant d’animosité, c’est que lui-même, malgré sa victoire, il se sentait profondément atteint. Chez Apollonius il pouvait blâmer la banalité, — et c’est ce qu’il paraît lui avoir reproché bien plutôt que des plagiats ; — il pouvait critiquer une abondance peu soucieuse d’élégance et de distinction :