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qui sont les meilleurs, les plus fidèles et les plus utiles des serviteurs dans leur rôle modeste et pacifique, devaient désormais tout voir et tout savoir; ils devaient surveiller les ennemis du régime établi, faire connaître au ministre de la guerre « les causes générales ou locales de mécontentement, les mesures réclamées par les populations, les tentatives d’agitation contre l’ordre et les lois, etc. » Avec cette arme, avec cette police universelle, il n’est pas difficile de voir que le ministère de la guerre tendrait à tout absorber et serait à lui seul tout le gouvernement; M. le général Thibaudin et ses alliés du radicalisme n’auraient pas demandé mieux. — « Pauvre armée, dans quel état il l’a mise! » disaient récemment non pas des réactionnaires, mais des républicains prenant lestement congé de M. le général Thibaudin. C’est fort bien ; mais ceux qui parlent ainsi aujourd’hui ne devraient pas oublier qu’il y a quelques mois ils étaient les premiers à exalter le ministre prêt à livrer à leur passion de parti des princes qui étaient l’honneur de l’armée; ils devraient se souvenir un peu plus qu’ils ont fait eux-mêmes la fortune de M. le général Thibaudin, qu’ils n’avaient pas assez de violences de polémique contre les adversaires plus sensés qui ne voyaient dans le ministre des décrets sur les princes d’Orléans qu’un chef sans autorité, condamné d’avance à n’être qu’un instrument de parti.

On s’aperçoit un peu tard maintenant que, si M. le général Thibaudin a beaucoup fait pour ses amis les radicaux, il n’a rien fait pour l’armée, et on sent le besoin de remettre les intérêts militaires en de meilleures mains. On s’est adressé à M. le général Saussier, qui commande à Alger, à M. le général Lewal, qui commande à Toulouse, qui est un théoricien militaire éminent, et on a fini par choisir M. le général Campenon, qui a été un moment ministre avec M. Gambetta, qui est un vrai soldat; soit! M. le président du conseil a vigoureusement mené toute cette affaire, nous en convenons; seulement il faut s’entendre. Cette exécution sommaire de M. le général Thibaudin dans les circonstances présentes n’aurait manifestement aucune signification sérieuse si elle n’était pas dans la pratique, dans la réalité, comme elle l’est dans l’apparence, une rupture définitive avec le radicalisme, qui se hâte d’ailleurs de prendre pour drapeau le nom du dernier ministre de la guerre; elle ne serait qu’une équivoque de plus, un expédient puéril, si elle n’était pas suivie de l’affirmation résolue d’une république réellement modérée en face de la république révolutionnaire et agitatrice qui nous presse de toutes parts, à laquelle on a trop souvent prêté les mains. Comment l’entend M. le président du conseil? Que se propose-t-il de faire à l’ouverture prochaine des chambres, dans cette mêlée un peu désordonnée des partis à laquelle nous allons infailliblement assister? C’est là toute la question au lendemain de ces derniers incidens qui sont la crise peut-être décisive pour la politique régnante. M. le président