Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/950

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais quelle analyse peut donner une idée de l’ouvrage, et quelle série de citations faudrait-il pour énumérer les traits dont il fourmille? Au moins, ce que j’en puis dire, c’est qu’il est varié à miracle; c’est que du lunch d’une femme du monde les auteurs nous mènent à la séance d’une tireuse de cartes; du souper d’un vieux garçon à un souper de joyeuses filles et de ce souper dans le boudoir d’une honnête femme; qu’ils passent du burlesque le plus franc à l’ironie la plus fine, que tous leurs personnages sont neufs et que chacun parle comme il doit parler. « J’étais au club, dit l’amoureux Des Platanes à Mme de Boisthulbé, lorsqu’on m’a remis votre lettre ; je tenais la banque au baccarat ; j’avais un sept, j’avais donné une bûche à gauche, une bûche à droite.. ; jusque-là je n’avais pas cru qu’il fût de plus grand bonheur que d’avoir un sept entre deux bûches : votre lettre me l’a appris ! » N’est-ce pas le langage d’une sorte particulière et plaisante d’amoureux? Le meilleur est que, par toute cette comédie, pas un moment la gaité ne cesse d’être naturelle et française. « Je vais donner vingt sous au cocher, dit le concierge au locataire qui se ravise au moment de sortir. — Non, ne lui donne rien. — Mais, monsieur, il me les demandera. — S’il te les demande, donne-les-lui; mais ne lui en parle pas le premier. » Cela ne coule-t-il pas de la bonne veine nationale? Le mot ne pourrait-il pas être de Pathelin ou d’un bourgeois de Molière? MM. Meilhac et Gille méritent le succès qu’ils remportent, et, — si bien jouée que soit la pièce par M. Daubray et Mlle Réjane, par M. Raymond, Mme Mathilde et Lavigne, — c’est leur esprit surtout que nous remercions de notre plaisir. Tout au contraire de Cotentin,, MM. Meilhac et Gille ne sont pas bêtes, et c’est tant mieux pour nous, puisque nous sommes là !


LOUIS GANDERAX.