Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/943

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un silence que ce tintement fait plus sensible; heureux effet, entre la scène de tumulte qui précède et la scène pathétique qu’on attend, que celui de cet intervalle religieux.

La conception de cette scène des deux mères est hardie et haute ; l’exécution, à mon sens, n’est pas sans défaut : j’y trouve un peu de rhétorique. Après un cri d’horreur qui sonne juste, et dès qu’elle sait pourquoi sa rivale est devant elle, la marquise de Maucroix, au lieu de répondre sur le sujet pressant qui l’amène, lui reproche en un long discours toute la suite de ses chagrins. Pour conclure, elle repousse la prière qu’on lui adresse; pas un moment elle n’a peur pour son fils, ni de la mort, ni même du sacrilège. Hélène supplie, s’agenouille, sanglote; au bruit de ses plaintes, Julien accourt; il la relève, il la caresse, il la console. La marquise regarde ce groupe d’une mère et d’un fils : « Je suis mauvaise chrétienne ! » prononce-t-elle d’une voix grave. Elle étend la main vers Hélène : « Vous avez fait couler mes larmes, j’essuierai les vôtres. »

Comment tiendra-t-elle cette promesse ? Nous sommes, dans le commencement du troisième acte, un peu distraits de cette pensée par deux jolies scènes entre Germaine et M. Gérard, entre Germaine et Henri. Il est difficile qu’une ingénue aimante, raisonnable et volontaire réponde avec une soumission plus malicieuse au père qui prétend contrarier son choix; il est difficile qu’elle éconduise un prétendant qui lui déplaît avec plus de prudence et d’esprit d’abord, avec plus de franchise et de dignité ensuite. Cependant le féroce Henri voit dans Julien un rival décidément préféré : sa rancune filiale se double et s’avive d’une rancune amoureuse. Quand sa mère veut le forcer de renoncer à son mauvais dessein, il se dérobe respectueusement à cette requête. La marquise, alors, use d’un moyen suprême ; elle mande Julien devant elle : « J’ai une prière à vous adresser, monsieur. — Commandez, madame; vous avez essuyé les larmes de ma mère : quoi que vous ordonniez, vous serez obéie. » La marquise demande à Julien de s’enfuir sans attendre la dernière provocation d’Henri; Julien y consent. On peut trouver invraisemblable l’artifice de cette piété filiale, si subtile et si puissante qu’elle fait renoncer un jeune homme amoureux et brave à la réparation d’un outrage, qu’elle le décide à la fuite devant un rival, devant un adversaire déclaré, parce qu’ainsi le veut une étrangère qui a essuyé les larmes de sa mère. Mais les héros de M. Delpit sont ingénieux dans le sublime autant que brusques. On le voit bien tout à l’heure. De nouveau devant Germaine, devant le père de Germaine et devant le sien, devant la marquise, tous rassemblés à dessein, Julien subit l’outrage d’Henri : « Je quitte la place, » dit-il faiblement. « J’en étais sûr ! s’écrie l’autre. Vous êtes un lâche ! » Julien ne bronche pas ; Germaine le regarde, toujours avec autant de