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pour préserver cette malheureuse ville du pillage et de l’incendie. A la vérité, son escadre était dépourvue de troupes de débarquement, et il n’est qu’à demi responsable de la grande faute de n’avoir pas pris dans une sorte de coup de filet l’armée égyptienne après les premiers coups de canon tirés par les vaisseaux. Quelques milliers d’hommes eussent alors suffi pour s’en emparer et pour terminer en une heure la campagne égyptienne. L’armée d’Arabi, démoralisée, n’aurait pas résisté plus longtemps qu’elle ne l’a fait à Tel-el-Kébir. Au premier bruit du bombardement, une panique dont on ne saurait avoir l’idée s’était emparée d’elle et de toute l’Égypte. C’est au point que, huit jours plus tard, beaucoup d’Arabes affirmaient au Caire qu’ils entendaient le grondement de la mitraille et se bouchaient les oreilles avec une terreur qui n’avait rien d’affecté. Si le gouvernement anglais s’était mis en mesure de soutenir, par une descente armée, le bombardement d’Alexandrie, c’en était fait de l’insurrection militaire. Mais, à défaut d’une descente armée, il fallait du moins débarquer tout de suite quelques marins. Tout le monde aurait fui devant eux, et Alexandrie serait encore intacte. C’est en vain que des chrétiens échappés de la ville ont supplié l’amiral Seymour de prendre cette sage mesure ; il s’y est longtemps refusé, et il a fallu pour l’y décider enfin l’exemple d’Américains et d’Allemands, qui, les premiers, sont entrés à Alexandrie, où ils n’ont trouvé que des fuyards.

À ce moment, il n’y avait plus dans l’Égypte entière l’ombre d’une résistance. Néanmoins, lorsqu’ils ont vu qu’ils n’étaient point poursuivis, et qu’ils pouvaient se reformer à Kafr-el-Dawar, Arabi et ses soldats ont repris courage. La position de Kafr-el-Dawar était depuis longtemps considérée, et à bon droit, comme offrant pour la défense d’admirables avantages. Ismaïl-Pacha l’avait fait étudier avec soin, à l’époque où il songeait à secouer la suzeraineté de la Porte et à se déclarer indépendant. Des ingénieurs européens avaient dressé des plans de fortifications qui étaient restés au ministère de la guerre. Ces plans furent immédiatement mis à exécution par le chef et le sous-chef de l’état-major de l’armée insurrectionnelle. Mahmoud-Fhemy et Mohamed-Choukry. On a beaucoup célébré en Europe les lignes de Kafr-el-Dawar ; l’armée anglaise n’a pas osé les attaquer ; il s’est fait autour d’elles une sorte de légende. Tout cela n’est pas sérieux. Les ouvrages élevés par Mahmoud-Fhemy et Mohamed-Choukry n’avaient rien de formidable. Les fellahs sont d’excellens terrassiers, parce que le travail agricole consiste uniquement, en Égypte, à créer des digues et à les détruire. Il leur a donc suffi de quelques jours pour construire à Kafr-el-Dawar d’abord un rempart médiocre, derrière lequel les soldats d’Arabi n’auraient assurément pas tenu cinq minutes, puis des forts avancés beaucoup