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soit qu’un petit arbrisseau, jusqu’à 50 et 60 francs en monnaie de France, et même davantage. Une asclépiadée qui ne donne son parfum que la nuit, le Pergularia odoratissima, a coûté jusqu’à 20 et 30 onces d’argent, et chaque année le vice-roi de la province de Tché-Kiang en adressait plusieurs pieds à Pékin pour les appartemens de l’eflipsreur. Pour profiter d’un goût aussi lucratif, l’horticulture chinoise n’a eu, du reste, qu’à mettre en œuvre les trésors d’une flore naturelle à laquelle nous devons les principales de nos fleurs d’ornement : l’Œillet de la Chine, envoyé dès 1702 à l’abbé Bignon, et décrit en 1705 par Tournefort ; l’Aster, adressé en 1728 par le P. d’Incarville à Antoine de Jussieu, et qui, après plusieurs semis améliorateurs, reçut d’un comité d’amateurs, réunis au couvent des Chartreux, le nom de Reine-Marguerite ; notre Chrysanthème d’automne, qui a longtemps figuré sur les armoiries des empereurs ; le Dicentra, dont les calices roses éperonnés figurent un double bouclier protecteur ; la Ketmie ou Rose de Chine ; le Chèvrefeuille de Chine, dont le nom chinois signifie « fleur d’or et d’argent, » par allusion à ses variations de couleur ; le Begonia discolor, vert en dessus, garni de nervures pourprées en dessous ; l’Hortensia qui, introduit en Europe par lord Macartney, reçut du botaniste Commerson le nom de Mme Hortense Lepante, femme d’un horloger fort connu ; notre Camélia, que les Chinois nomment fleur de thé ; enfin, le Nerine sarniensis, qui, dans notre nomenclature, porte le nom de l’île de Guernesey, parce qu’un vaisseau qui rapportait en Angleterre des bulbes de cette élégante amaryllidée ayant échoué presque en vue de sa patrie, ces bulbes, portés par le flot sur les côtes sablonneuses de l’île, s’y fixèrent et s’y maintinrent à la faveur de la douce température que lui assure le courant venant du golfe des Antilles.

Telles sont, pour la flore herbacée au moins, les principaux élémens de ces jardins chinois dont on n’a vu que de mauvais spécimens au Trocadéro en 1878, et qui nous paraîtraient moins disgracieux et plus étranges à la fois dans leur cadre national. Il est vrai que le goût des Orientaux s’écarte ici beaucoup du nôtre. Nous sommes désagréablement affectés des soins qu’ils prennent pour diminuer la taille de tous les végétaux. Les missionnaires assurent qu’ils ont vu des cyprès et des pins qui n’avaient pas plus de deux pieds de haut, quoique âgés de quarante ans, et bien proportionnés de toutes leurs parties. C’est un moyen de s’assurer la possession d’un grand nombre de types dans un étroit espace, ce qui est précieux dans un pays où les jardins sont si recherchés et la propriété si morcelée. C’est aussi là, en Chine, un des effets du culte de la vie de famille, et si l’étranger demeure peu charmé devant cette nature rabougrie, arrêtée à plaisir dans son développement, il