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privent aussi de reproduire, pour illustrer le texte, quelques-uns de ces caractères d’aspect rébarbatif sans doute, mais dont l’étude jette un jour pénétrant sur l’intelligence d’une race profondément différente de la nôtre, et fait apprécier de quelle manière, tantôt pratique, tantôt poétique, cette race a conçu les diversités des végétaux. Il suffit, pour le saisir jusqu’à un certain point, que l’on soit instruit de l’importance que prend, dans la phrase chinoise, la place des mots : Malherbe eût certes été, — d’après Boileau tout au moins, — le premier des grammairiens du Céleste-Empire. Le sens, en effet, varie suivant la place, comme dans l’anglais moderne. Lorsqu’un Anglais dit tree-ivy (arbre-lierre, pour lierre arborescent), silk-worm (soie-ver, pour ver à soie), worm-seed (ver-graine, pour graine vermifuge), cet Anglais parle chinois. De là vient, pour le dire en passant, que de toutes les langues européennes, c’est la langue anglaise, la plus pauvre en accidens grammaticaux, que les Chinois apprennent le plus facilement et le plus volontiers. C’est la seule que connaisse l’ambassadeur actuel, M. le marquis Tseng, qui doit se plaire mieux à Londres qu’à Paris, et plus d’un Européen trouve dans la connaissance, même imparfaite, de la langue anglaise, le moyen de s’entendre avec un lettré chinois et de se faire traduire par ce lettré tel traité spécial qu’il désirerait connaître. Ces affinités linguistiques relatives entraînent une affinité politique, relative aussi, mais dont notre diplomatie devra tenir compte. C’est peut-être grâce à ces affinités que, dans les dépêches officielles, l’Angleterre est désignée par le caractère yug (équivalent, par la prononciation, à la première partie du mot English), et dont le sens spécial est celui d’excellent.

On va voir, par quelques exemples, comment la place des mots détermine le sens dans l’expression composée qui souvent désigne une plante au Céleste-Empire. Le ricin est nommé pi-herbe ; ce pi est un insecte, une tique, à laquelle ressemblent en effet ses graines[1]. L’avoine (petit-cloche-froment) est le froment à petite cloche, à cause de la forme de sa baie ; la fève (ver-herbe) est l’herbe au ver, parce que son ovaire velu et boursouflé rappelle l’aspect d’un ver à soie. Le nom du Lilium tigrimim, po-he (cent ensemble), indique la multitude des bulbes écailleux qui se forment en terre à la base des hampes florifères de ce Lis. D’autres fois le nom est tiré de l’époque du développement. Le Chimonanthus fragrans est le prunier du douzième mois, parce que ses fleurs apparaissent en hiver ; le Jasminum nudiflorum est la fleur du

  1. Le mot latin ricinus désigne à la fois la plante et l’insecte.