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provinciales, nous le retrouvons dans la cour du Nord (Peï-King, que nous appelons Pékin), vice-président au ministère de la guerre, un an plus tard avec le même titre au ministère des finances. En 1840, il est élevé à la dignité de gouverneur général dans le Hu-Kuang, puis dans le Ho-nan, où il dut, en 1842, combattre les rebelles. Après plusieurs années dans lesquelles, suivant les lois de son pays, il passa comme gouverneur général d’une province à l’autre, il se retira en 1846, forcé à la retraite par l’état de sa santé, et mourut quelques mois après, laissant manuscrite une Encyclopédie de botanique accompagnée de dix-huit cents planches en partie dessinées par lui-même. L’édition en fut publiée par un continuateur qui la donna sous le nom posthume que l’empereur régnant avait accordé, comme un titre de gloire, à l’Agriculteur du Yü-lou.

Voilà quelle est la vie d’un lettré chinois. E>amiiialeur, administrateur, financier, général d’armée, il rédige en même temps un traité qui, chez nous, aurait jadis rempli l’existence laborieuse d’un bénédictin. Sachons donner à ce Chinois le tribut d’éloges que mérite une telle puissance d’esprit. Tempérons cependant cet éloge par quelques réserves. Successivement placé à la tête de plusieurs grandes provinces, l’Agriculteur du Yü-lou put connaître par lui-même un grand nombre de plantes et de produits, satisfaire ainsi ses goûts personnels, et faire profiter ses contemporains d’observations nouvelles. Mais son rôle n’est pas celui qu’aurait en Europe l’auteur d’un ouvrage d’aussi grande envergure. Tout se transmet en Chine depuis l’antiquité ; on n’y est pas plagiaire, parce qu’on y suit l’usage en reproduisant trait pour trait les documens d’une époque antérieure écrits ou dessinés. La dernière encyclopédie contient encore des chapitres de l’Encyclopédie primitive (en Europe, nous dirions légendaire) de l’empereur Chen-Nung.

Ce personnage a régné vers le xXVIIIe siècle avant Jésus-Christ dans l’Empire du Milieu. Ce terme, qui aujourd’hui désigne officiellement la Chine en Chine même, a été pour ses lettrés le prétexte d’un calembour qu’il faut bien croire intentionnel. Sous ce nom d’empire du Milieu (tchoung-kouo) il n’y a, en réalité, qu’une désignation géographique, celle du pays situé au milieu des deux fleuves qui coulent de l’ouest à l’est, des montagnes du Tibet vers la mer, pays dans lequel se concentrait à l’origine l’exercice d’une autorité unique et l’essaim d’une population encore peu nombreuse. Mais les Chinois sont orgueilleux, c’est leur moindre défaut, et le tchoung-kouo est, avec le travail des générations de lettrés, devenu pour eux ce qu’était pour les Grecs le sanctuaire de Delphes, ni plus ni moins que « le nombril de la terre. » À l’époque plus barbare, sinon plus naïve, où vivait Chen-Nung, le siège de l’empire fut tour à tour dans le Chan-tung méridional et dans le Ho-nan occidental. Or,