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effet de l’humaine nature. Entre ces impressions disparates n’y aurait-il pas jour pour une appréciation moins personnelle, parce qu’elle ne part ni d’un chrétien découragé, ni d’un commerçant trompé, ni d’un voyageur aigri par les fatigues de la route et les lenteurs de ses guides, ou choyé par la toute-puissance d’un gouverneur de province, mais d’un naturaliste à même d’apprécier plus équitablement la science pratique d’un membre de la grande famille humaine à qui nous devons le thé, la rhubarbe, la soie, la pêche, l’igname, et tant d’arbres et tant de fleurs, depuis l’Ailante jusqu’à la Reine-Marguerite ?

Je sais fort bien qu’on se fait une pauvre idée chez nous de la science d’un mandarin. On consent à dire, par habitude : les lettrés chinois, mais en ajoutant que toute la connaissance d’un lettré se borne à celle des hiéroglyphes de sa langue, et toute sa gloire à subir des examens. Ce lettré, en effet, s’instruit toute sa vie, et, en s’instruisant, il monte en grade ; il entre enfin à l’Académie des Han-Lin (car la Chine a son Institut), et, après un persévérant travail de plusieurs lustres, il peut parvenir à connaître le sens actuel ou antérieur de tous les caractères de sa langue, caractères dont chacun, souvent depuis une origine plus qu’antique, contient en soi-même la définition de l’objet qu’il représente. Condamné par la nature même de son idiome à être lettré d’abord, s’il veut être ensuite savant, il peut, après ce travail préparatoire, lire les œuvres innombrables des annalistes, des géographes et des commentateurs qui ont décrit les productions de son sol ou les êtres importés, depuis deux mille ans, de l’étranger en Chine, Le grand catalogue descriptif de la Bibliothèque impériale de Pékin, rédigé par ordre de l’empereur et terminé en 1790, a deux cents volumes, et, malgré le nombre considérable d’ouvrages de botanique qu’il indique, il est forcément incomplet, puisque le dernier ouvrage de ce genre, le plus remarquable, porte la date de 1848.

L’auteur de cet ouvrage se nommait lui-même Yü-lou-nung (l’Agriculteur du Yü-lou) ; il était né dans le Ho-nan (la province située au sud, nan, du fleuve, Ho). Il était entré dans la vie publique en 1817. Après avoir pris ses degrés universitaires en se faisant recevoir gradué de première classe, il commença sa carrière comme secrétaire attaché à l’Académie des Ilan-Lin (la forêt de pinceaux). En 1819, il fut nommé examinateur principal dans le Kuang-tung. En 1831, il entra au Collège impérial des inscriptions. En 1832, il fut envoyé dans la province de Hu-pei comme directeur provincial d’éducation. Retourné en 1834 à Pékin, il y fut successivement appelé à divers emplois de marque, directeur du cérémonial d’état, sous-chancelier du grand secrétariat, vice-président du ministère des rites. Après quelques nouvelles charges