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mais, en même temps, il y a dans les cellules un « côté psychique, » sensoriel, comme M. Maudsley lui-même est forcé de l’avouer à la fin. Et ce côté sensoriel n’est plus uniquement la simple excitation mécanique; il est cette excitation, plus un certain état psychique des centres nerveux secondaires, analogue à l’état que nous appelons sensation, émotion, plaisir ou déplaisir. Quand le cerveau est intact, les sensations se communiquent aux hémisphères et s’y centralisent; le cerveau enlevé, elles restent dispersées dans les centres nerveux secondaires; mais elles n’en subsistent pas moins, selon toute probabilité. M. Maudsley demande qu’on le lui démontre, et sans doute la preuve directe est impossible; l’est-elle moins quand il s’agit de prouver à un Descartes ou à un Malebranche qu’un chien frappé qui se plaint sent le coup de pied? De nous à l’animal nous raisonnons par analogie ; la même analogie est encore valable, quoique affaiblie, de l’animal ayant ses hémisphères à l’animal privé de ses hémisphères, ou, si l’on veut, des centres nerveux cérébraux aux centres nerveux spinaux, qui, dans cette société de cellules qu’on nomme organisme, ne sont que des vivans d’ordre inférieur, soudés et subordonnés à des vivans d’ordre supérieur. Si les centres de la moelle étaient absolument mécaniques, sans aucun élément psychologique, cet élément manquerait aussi dans le cerveau, puisque le cerveau n’est que le prolongement de la moelle. C’est donc une exagération que de comparer les mouvemens réflexes sensoriels aux mouvemens d’un piston ou d’un morceau de liège qui, évidemment, sont étrangers à toute « stimulation psychique. » Non, les centres nerveux réagissent les uns sur les autres d’une manière à la fois mécanique et mentale, comme des gens qui, dans une foule pressée, se poussent et se donnent des coups de coude, et qui se trouvent tous à la fin portés dans une certaine direction, alors même qu’ils ne l’auraient ni connue ni voulue. Chacun en particulier n’a cherché qu’à éviter le malaise d’une pression extrême, et il se trouve pourtant que tous réalisent une sorte de manœuvre plus ou moins compliquée. De même, dans l’animal récemment décapité, des sensations sourdes se produisent comme d’habitude le long des cellules de la moelle; comme d’habitude, elles entraînent à leur suite des mouvemens; et alors commence la pure mécanique : comme d’habitude, ces mouvemens suivent la voie tracée; comme d’habitude, ils convergent vers le même point et produisent la contraction de la patte ou du bras que l’animal aurait produite s’il avait connu un danger et voulu s’y soustraire. Il n’a rien connu, encore une fois, ni expressément voulu; ses élémens ont vibré sous le coup de sensations plus ou moins aveugles, et la finalité apparente du résultat n’est que l’effet de l’harmonie organique réalisée dans son corps par la sélection naturelle.