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de plaisir ou de peine allait diminuant, s’éliminant peu à peu au profit des élémens moteurs. La fonction, accomplie d’abord avec de grands écarts autour d’un point d’équilibre, comme une planche sur laquelle on se balance, a fini par se rapprocher de ce point d’équilibre et par devenir voisine de l’indifférence. Telle est, par exemple, chez les animaux supérieurs, la respiration. C’est un perpétuel passage du malaise à l’aise, que cependant nous ne remarquons pas en temps ordinaire. Suspendez votre respiration, vous accroîtrez le malaise et, par contraste, l’aise qui suit : vous rétablirez une opposition plus tranchée qui, pour être diminuée, subsiste cependant dans le rythme de la respiration normale. Ce qu’on appelle l’indifférence, selon nous, n’est que la neutralisation mutuelle d’une série aboutissant à la peine par une série aboutissant au plaisir. C’est un état dérivé, une composition de mouvemens extérieurs et d’émotions intérieures. La parfaite indifférence n’est qu’un instant de transition plus idéal que réel. Là où elle existe, elle révèle une habitude prise et transmise héréditairement, une organisation devenue automatique, comme pour les battemens du cœur. Il faut remarquer, en effet, qu’une loi de la nature fait disparaître peu à peu tout ce qui est inutile à l’accomplissement d’une fonction : si une fonction qui exigeait d’abord des alternatives marquées de plaisir et de peine trouve un mécanisme de mieux en mieux approprié qui l’exécute automatiquement, la nature fait l’économie des stimulans du plaisir ou de la douleur, par cette raison simple que le cerveau n’est plus le siège de changemens notables sous l’influence des mouvemens accomplis par l’organisme. Ainsi, à nos yeux, le mécanisme et la logique sont deux aspects relativement superficiels d’un fond qui est sensibilité. C’est seulement lorsque les peines sont réduites à un degré faible et qu’elles sont immédiatement compensées par un petit plaisir qu’elles produisent une pulsation voisine de l’indifférence. Alors l’élément affectif s’efface, et il reste une simple perception mécanique de résistance, de contact non douloureux, non agréable en apparence. C’est là un état dérivé ; ce n’est pas, comme le croient MM. Spencer, Wundt et Taine, l’élément primordial de la sensation. Le conscient a ici la priorité sur l’inconscient et le mental sur la mécanique. Il n’est besoin d’insister sur l’importance de cette conclusion.


III.

Avec la sensation, ce qu’il y a en nous de plus essentiel aux yeux de la psychologie contemporaine, c’est le mouvement réflexe. Un dernier problème se présente donc : est-ce encore la sensibilité et