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expériences, le sujet est prévenu qu’il va recevoir un choc électrique au pied droit et qu’il doit immédiatement réagir de la main droite. Le temps nécessaire pour s’apercevoir du choc et réagir est alors d’environ un septième de seconde. — On recommence l’expérience en modifiant une des conditions : le sujet doit toujours réagir de la main droite, mais il ne sait plus quel pied recevra le choc; il faut donc qu’il discerne le pied droit du gauche. Dans ce cas, il y a un retard qui exprime le temps nécessaire à cet acte fort simple de discernement. D’autres fois, il s’agit de discerner une lumière rouge d’une lumière blanche, etc. La durée de l’acte intellectuel le plus simple, qui est le discernement d’une différence, est en moyenne de trois centièmes de seconde.

Tels sont les faits constatés par la psychologie scientifique et sur lesquels tout le monde est d’accord. Maintenant, comment interpréter cette nécessité d’un certain temps pour toutes les opérations de la conscience? C’est là le point plus délicat et plus controversé. Selon nous, cette nécessité du temps prouve que les opérations de la conscience sont toutes liées à des mouvemens dans un milieu résistant. S’il n’y avait pas à la fois concours et conflit de forces quand nous essayons de penser, de comparer, de vouloir, on ne verrait pas de raison pour que tous ces actes ne fussent pas instantanés comme par le fiat omnipotent d’un moi solitaire et se suffisant à lui-même. Si le temps est nécessaire, c’est qu’il y a plusieurs forces en jeu, c’est qu’il y a des harmonies et des conflits de forces ; s’il y a conflit de forces, c’est qu’il y a milieu résistant ; s’il y a milieu résistant, c’est qu’il y a mouvement dans l’espace et non point seulement un changement dans le temps; donc tous les changemens psychiques sont liés à des mouvemens physiques et exigent le concours d’un certain nombre de centres nerveux. L’ancienne psychologie se figurait un moi absolument simple et identique, seul doué de sensibilité, agissant sur une machine brute comme un pilote sur un navire; la psychologie moderne, au contraire, reconnaît que nous sommes une société de cellules qui toutes ont vie et peut-être sensibilité à quelque degré. Tout acte de conscience implique un concert des cellules qui exige un certain temps pour se produire.

Outre l’intensité et la durée des excitations nerveuses, il y a une troisième, condition indispensable, sinon à toute conscience, du moins à la conscience distincte. C’est une certaine discontinuité et un contraste entre les états successifs, lumière et ténèbres, plaisir et peine, repos et mouvement, etc. Mais il importe ici d’éviter une confusion qui, selon nous, vicie presque toute la psychologie contemporaine, celle de la conscience indistincte avec une entière inconscience. Cette erreur vient de ce qu’on ne discerne pas les