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excités à réagir par un mouvement de tout le corps ou par une intervention de toute l’intelligence. Cette adaptation progressive de l’impression consciente à l’importance que devait avoir la réaction volontaire ne pouvait donc pas ne pas se produire en vertu des lois de la sélection naturelle. C’est celle-ci qui a fait la part du conscient et de l’inconscient.


La conscience a pour seconde condition une certaine durée dans le changement qu’elle perçoit. Aussi exige-t-elle un certain temps pour se produire. En général, tous les actes de l’esprit, toutes les opérations de la conscience ont une durée déterminée, depuis l’acte de discernement le plus simple (par exemple la perception de la différence entre l’obscurité et une lumière subite) jusqu’aux comparaisons plus complexes, aux jugemens, aux raisonnemens, aux volitions.

Les astronomes, chacun le sait, ont les premiers constaté que la durée de la perception est variable selon les personnes[1]. Plus tard, les physiologistes instituèrent des expériences intéressantes pour mesurer la durée des « actes psychiques, » perceptions et volitions. On trouvera une excellente description de ces expériences dans la Psychologie Allemande de M. Ribot. Par exemple, quelqu’un prononce une syllabe et une autre personne, placée derrière un écran, doit la répéter. On note le retard; on en retranche le temps nécessaire à l’excitation nerveuse pour arriver au cerveau, puis le temps nécessaire aux muscles pour transmettre aux organes de la voix le mouvement venu du cerveau : ces deux temps ont été déterminés par des expériences antérieures. Le reste indique le temps nécessaire à la perception et à la volition[2]. — Dans d’autres

  1. Pour le passage des étoiles au méridien), il faut noter le temps précis où l’étoile passe devant le fil de la lunette. Rappelons qu’en 1795, un astronome de l’observatoire de Greenwich, Maskelyne, constata que son aide notait toujours le passage des astres au méridien avec un retard de 5 à 8 dixièmes de seconde. Persuadé qu’il y avait de sa part une négligence incorrigible, il le renvoya. Plus tard, les astronomes s’aperçurent qu’il y avait toujours un retard dans la perception du passage de l’étoile, et que ce retard variait selon les observateurs, depuis 1 ou 2 dixièmes de seconde jusqu’à une seconde. L’erreur produite par ce retard, une fois calculée en moyenne pour chaque personne, produit l’équation personnelle, dont on tient compte dans les calculs.
  2. On a calculé que la vitesse du courant nerveux est de 30 mètres environ par seconde. Si on suppose une baleine ayant 30 mètres de long qu’on frappe d’un coup de harpon, il s’écoulera deux secondes entre le coup et le mouvement de la queue, plus une petite fraction de seconde nécessaire pour que la baleine perçoive le coup et réagisse : les assaillans, dans leur barque, auront donc plus de deux secondes pour s’éloigner. — Un Américain vient de se faire breveter pour une pile destinée à foudroyer les suppliciés, de telle sorte qu’ils n’aient pas le temps de souffrir. L’électricité, beaucoup plus rapide que le courant nerveux et que la pensée, pourrait produire, prétend-il, un effet mortel avant que la conscience eût le temps de s’en apercevoir.