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Quant à cette loi, plus générale, qui veut qu’au-dessous d’une certaine limite les impressions extérieures ne parviennent pas au cerveau et à la conscience, elle s’explique, selon nous, par la sélection naturelle. Dans la concurrence pour la vie, les animaux qui ont triomphé sont ceux qui pouvaient le mieux réagir sur l’extérieur pour s’y adapter, par cela même pour se conserver et se développer. Or il y avait ici deux excès possibles, tous deux nuisibles à l’être vivant : un excès d’insensibilité, un excès de sensibilité. Supposez un être qui soit trop insensible pour être averti d’un ennemi qui le menace, d’une influence extérieure qui lui est contraire : cet être et sa postérité finiront par disparaître. L’insensibilité et l’inconscience extrêmes ne sont admissibles que chez les minéraux, dont la constitution n’a pas la complexité et la fragilité des êtres vivans, surtout des animaux, et n’exige pas de leur part une réaction motrice à forme complexe. De là, chez les animaux, la supériorité de ceux qui ont acquis des sensations plus nombreuses et plus variées, en correspondance avec la multiplicité et la variété des circonstances favorables ou défavorables. Mais, d’autre part, supposez un être d’une sensibilité exagérée, chez qui tout retentisse dans la conscience. L’être sera en entier absorbé par une continuelle réaction vers l’extérieur; il sera dans un état de surexcitation maladive d’où dérivera l’usure rapide du système nerveux. Toute son énergie se dépensera à jouir ou à souffrir : il ne lui restera même pas une portion d’énergie à convertir en pensées, en réflexions, en résolutions, pour comprendre et écarter le danger. Un tel être ne pourra vivre ou faire vivre ses descendans. Qu’il s’agisse des centres nerveux inférieurs ou du centre cérébral, l’excès d’impressionnabilité sera également nuisible. Si les centres inférieurs, par exemple ceux qui sont le siège des mouvemens réflexes, réagissent contre de trop faibles excitations, s’ils ne sont pas modérés par les « centres d’arrêt» et s’ils absorbent tout le courant nerveux, ils feront comme les nerfs malades et dépenseront toute l’énergie qu’ils tiennent emmagasinée contre les faibles excitations qui se jouent sans cesse autour d’eux : ils rendront un son intense et douloureux comme une harpe qui se plaindrait au plus léger souffle, ils réagiront par des mouvemens excessifs et convulsifs contre les moindres excitations. C’est ce qui a lieu quand, par l’ablation des centres supérieurs, on concentre toute l’activité dans les centres réflexes: les mouvemens réflexes s’exagèrent alors; chez le blessé dont la moelle n’est plus en communication avec le cerveau, les mouvemens réflexes des jambes deviennent, au moindre attouchement, de véritables convulsions. Il est donc nécessaire que le courant nerveux se répande de proche en proche dans tout l’organisme au lieu de se concentrer