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me suis cherché moi-même, » disait Héraclite en résumant sa vie entière, et il ajoutait avec mélancolie : « Je ne me suis point trouvé. » A notre époque, nous nous cherchons encore. L’ancienne psychologie croyait atteindre du premier coup le fond de notre être par la conscience : « Je pense, je me pense, donc je suis. » Mais la pensée est peut-être une simple forme et une surface brillante sous laquelle se dérobe un fond toujours obscur, matière selon les uns, esprit inconscient selon les autres, qui seul dure pourtant, qui seul agit, qui seul est.

Il y a dans la philosophie de « l’inconscient, » comme nous essaierons de le faire voir, une grande part de vérité; mais ne contient-elle point aussi une interprétation des faits souvent aventureuse? Il importe d’examiner si le sentiment et la conscience ne sont qu’une condensation ou une complication de choses réellement insensibles et inconscientes, comme les atomes bruts d’Épicure, ou si, au contraire, l’inconscient est lui-même une diffusion primitive, un faible commencement de la sensibilité et de l’intelligence, comme les nébuleuses renferment déjà la chaleur et la lumière qui, plus tard, se concentreront en soleils. A un esprit inattentif ces deux hypothèses peuvent paraître équivalentes, mais elles diffèrent en ce que, dans l’une, le mental est simplement une forme et un accident du physique, tandis que dans l’autre il est le fond.


I.

Si certains philosophes dépouillent la conscience de toute importance et de toute activité propre, s’ils reportent l’action efficace dans un domaine inconscient qui finit par se confondre avec un mécanisme purement physique, c’est peut-être qu’ils se font une idée inexacte de ce qui constitue la conscience. Ils la réduisent trop, comme nous le verrons plus tard, à l’intelligence. Or la conscience est irréductible à une faculté aussi particulière ; elle demeure même en soi indéfinissable. Comment définir ce qui se retrouve de commun dans nos pensées, nos émotions, nos volontés, ce qui fait que nous les éprouvons, les sentons, sommes modifiés, et que plus tard nous les attribuons à nous-même, non à un autre? L’ancienne psychologie définissait ordinairement la conscience : la connaissance immédiate que nous avons de notre existence et de nos états. Mais le mot de connaissance n’est pas exact : il désigne un développement supérieur de la conscience, si bien qu’on définit celle-ci par une de ses fonctions dérivées. Il est plus exact de dire : le sentiment immédiat, mais ici le mot de sentiment n’est encore qu’un synonyme. Ce qui importe, c’est de ne pas confondre la conscience immédiate et spontanée, qui ne fait que sentir, avec la réflexion