les Italiens, Rossini, Meyerbeer, Ballini, le Barbier de Séville, Robert le Diable, et la Norma, Adolphe Nourrit, la Malibran, la Devrient, la Pasta, « le prodigieux Lablache, » Rubini, « le ténor aux roulages, aux trémolos sans fin, à la mezza voce incomparables[1]. » La tentation lui vint de composer un opéra ; heureusement qu’il ne trouva point de librettiste, car avec les pruderies de sa nature et son aristocratique Noli me tangere, comment aurait-il enduré les rebuffades du métier ? « Il est diverses couronnes, disait Goethe ; il en est même qu’on peut commodément cueillir en se promenant. » Celle du pianiste était son lot, mais il ne l’obtint pas d’emblée. Son premier concert passa inaperçu. Liszt, Hiller, quelques rares amis de la colonie polonaise, furent les seuls à s’en occuper (26 février 1832). Il perdait tout à fait courage et voulait émigrer en Amérique ou s’en retourner au pays, lorsqu’un jour, il rencontra au coin d’une rue son vieil ami, le prince Radziwill, qui le remonta et lui arracha la promesse de venir le soir chez le baron de Rothschild. De cette bienheureuse présentation allait dépendre son avenir. On l’invite à s’asseoir au piano, et, deux heures durant, il improvise : musique de danse et rêveries, mazourkes et nocturnes, préludes et scherzos, valses, tarentelles et ballades, une féerie où s’entre-croisent les génies de l’air, des eaux et de la flamme, l’immaiériel, l’impondérable, des modulations, des contextures harmoniques aussi savantes qu’originales, arpèges, batteries, une sorte de trépidation haletante qui semble trahir le voisinage d’êtres surnaturels, un balancement, une morbidesse, dont le secret, jamais plus, ne se retrouvera ! Pendant deux heures, les touches d’ivoire chantèrent sous ses doigts, et quand le virtuose se leva au milieu des applaudissemens redoublés, il n’avait plus qu’à se laisser faire : les femmes et la mode l’avaient adopté. Invitations, engagemens, leçons, dîners, le pauvre délaissé de la veille se voyait maintenant assiégé. « Chopin est, à ce jour, tout florissant de bien-être et de gloire ; vous ne le reconnaîtriez pas, écrivait en 1834 un de ses amis, étudiant en médecine, qui logeait avec lui rue de la Chaussée-d’Antin. — Il compose, donne des leçons à des prix fous et tourne la tête aux belles dames. »
Chopin prenait son enseignement fort au sérieux, très indulgent,
- ↑ À croire ce que Liszt rapporte, Chopin aurait eu si peu de goût pour les correspondances que son écriture resta comme inconnue à la plupart de ses amis. « Une de ses bizarreries consistait à s’abstenir de tout échange de lettres, de tout envoi de billets. Maintes fois, il préféra traverser Paris d’un bout à l’autre pour refuser un dîner ou faire part de légères informations plutôt que de s’en épargner la peine au moyen d’une petite feuille de papier. » Cette assertion a son côté plaisant, ce qui ne la rend pas plus vraie. Si Chopin n’écrivait jamais, d’où seraient venues tant de lettres intéressantes citées par son récent biographe polonais ? d’où viendront encore celles qu’on nous annonce in posse ?