l’attente avec une sorte d’amère volupté. » Ceci n’est déjà plus de la légende, c’est du pur roman, et l’auteur de Lucrezia Floriani entre-mêle à sa paraphrase idéaliste d’inconscientes réminiscences de l’auteur d’Elle et Lui. Chopin, Musset, dans le crépuscule du passé, toutes les ombres se ressemblent ; on les confond si aisément l’une avec l’autre, que ce qui se disait du poète s’applique au musicien. Autour des figures de cette époque le romanesque ne messied pas, elles s’en accommodent un peu, comme de leurs boucles d’oreilles en perles fines les portraits du temps des Valois. « Doux, sensible, exquis en toutes choses, il avait toutes les grâces de l’adolescence réunies à la gravité de l’âge mûr. Il resta délicat de corps comme d’esprit, mais cette absence de développement musculaire lui valut de conserver une beauté, une physionomie exceptionnelle qui n’avait pour ainsi dire ni âge ni sexe. » C’est vers cette première période de jeunesse que Chopin eut un attachement pour une jeune fille dont les accidens de la vie d’artiste le séparèrent au moment qu’elle allait devenir sa fiancée.
L’histoire simplement racontée serait touchante, mais ce diable de Liszt ne connaît pas de bornes : au lieu de raser les saules du rivage, le voilà tout de suite dans ces grands courans de mélodrame où l’on se noie : « Elle était douce, cette jeune fille, comme une de ces madones de Luini dont les regards sont chargés d’une grave tendresse. Le père de Chopin ne voulut pas que le portrait qu’elle en avait dessiné dans des jours d’espoir fût jamais remplacé chez lui par aucun autre, fût-il dû à un pinceau plus expérimenté. Bien des années après, nous avons vu les joues pâles de cette jeune femme attristée se colorer lentement comme rougirait l’albâtre devant une lueur dévoilée, lorsqu’on contemplant ce portrait son regard rencontrait le regard d’un ami arrivant de Paris. » Et penser que l’aimable héroïne de cette mystique élégie, Mlle Maria Wodzynska, épousait de son plein gré, quelques mois plus tard, un jeune comte polonais ! Chopin, de son côté, se consola, de même qu’il s’était déjà consolé des récentes infidélités de la séduisante cantatrice Constantia Gladowska. Sans prétendre que Chopin fût incapable d’aimer sérieusement, on peut dire que sa personne et son caractère ressemblaient à sa musique, où tout est modulation, caprice et frénésie : qualités et défauts qui ne vont guère avec un idéal de constance. Rêverie et chevalerie seraient plutôt les deux traits caractéristiques si nous cherchions à définir l’homme d’après ses œuvres. Patriote sincère et vibrant, il flotte entre la désespérance infinie et le fanatisme qui sont l’ahernative ordinaire par laquelle une nationalité opprimée se manifeste. Suivons-le dans sa vie et dans son ait ; toute joie en lui est rapide, instantanée, finit en deuil. Vous