inclinations, élégies, que d’arabesques brodant, illustrant ce thème à
la fois amoureux et patriotique ! Dans chaque mazourke qui se danse
il y a un homme et une femme cherchant à se faire comprendre
l’un à l’autre ce qu’ils tiennent à ne pas prononcer : communauté
d’amour pour la patrie, communauté d’horreur pour le vainqueur.
Elle implore et elle commande, elle met à prix son sourire, et le
prix, c’est l’héroïsme ; si elle détourne la tête, elle semble précipiter l’homme dans l’opprobre ; si elle lui rend l’éclat de son visage,
elle semble le retirer du gouffre. Mais, dans les bals, on n’est pas
toujours entre soi, il faut danser avec les vainqueurs, il faut leur
plaire pour n’en pas être écrasé : le Russe et la Polonaise sont l’unique
point de contact entre deux peuples plus antipathiques que l’eau et
le feu. La femme espère toujours inoculer à l’homme la pitié, l’homme
espère toujours dénationaliser la femme ; à ce double jeu, chacun
se passionne, et comme on ne se rencontre guère ailleurs, c’est dans
la mazourke qu’on pousse en avant toutes ses ressources, qu’on multiplie les stratagèmes, les embuscades et les assauts. On a l’air de
plaider pour soi quand un autre est en cause. C’est le knout, c’est la
mort qui attendent celui qu’une sœur, une fiancée, une amie, une
compatriote inconnue, douée du génie de la compassion et de la
mse, a le pouvoir de sauver entre deux mazourkes. Au second bal,
quand la femme et l’homme se retrouvent, l’un des deux finit toujours par être vaincu. Elle n’a rien obtenu, ou elle a tout conquis.
Rarement s’est-il vu qu’elle n’ait rien obtenu, qu’on ait tout refusé
à un regard, à un sourire, à une larme.
Tout le monde sait aujourd’hui quel noble et précieux trésor Chopin a recueilli dans ce champ d’inspiration ; mais il y a trente-trois ans, lorsqu’il mourut, peu de gens s’en doutaient encore et Liszt écrivant son ouvrage devançait le temps, comme il l’a fait du reste en bien des entreprises qui, toutes, n’obtiendront pas même consécration. Le Chopin de 1834 à 1840 est loin d’avoir l’importance de celui que nous pratiquons maintenant. Il lui arrive ce qui est arrivé à Stendhal, un autre déclassé, ou plutôt un autre mal classé du romantisme. Il a grandi entre temps, mais pour des raisons toutes différentes, affaires de forme et de style auxquelles l’auteur de la Chartreuse de Parme ne peut que rester étranger. Le passé s’était contenté d’applaudir dans Chopin l’improvisateur à la mode : c’est du compositeur que les générations actuelles s’occupent, obéissant moins à des curiosités de dilettante qu’à cet esprit d’information et de recherche qui