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ÉTUDES ET SOUVENIRS



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FRÉDÉRIC CHOPIN.


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« Je pourrais en finir des Polonais si je venais à bout des Polonaises, » disait l’empereur Nicolas, C’était là rêver l’impossible, et, dans tous les cas, compter sans la musique de Chopin. On ne vient pas à bout des Polonaises, et moins que jamais quand leur patriotisme aura trouvé dans l’art féminin par excellence la source vive où se retremper à travers les âges. Sous les épisodes entremêlés du poème musical, si bref qu’il soit, la note d’angoisse et d’appel vibrera toujours. C’est assez d’un cliquetis d’éperons parmi le tulle et la gaze pour vous avertir que le bal auquel vous assistez se donne à la veille d’un assaut. On entend à travers ces rythmes de la danse les adieux dont elle cache les soupirs et les pleurs. Ailleurs on saisit comme des terreurs étouffées, craintes, pressentimens d’un amour que la jalousie dévore et qui, se sentant vaincu, prend en pitié, dédaignant de maudire ; c’est un tourbillonnement, un délire où passe et repasse la mélodie, haletante, saccadée comme les palpitations d’un cœur qui se pâme et se brise ; plus loin des souvenirs de gloire éclatent en fanfares, il en est dont le rythme est aussi indéterminé, aussi fluide que le sentiment de deux jeunes amans contemplant une étoilo qui se lève seule au firmament ! Abîme d’imagination et de science, émue, effarée, serpentine, capable même,