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précéder le préambule de la constitution de ces mots ; « En présence de Dieu… » Jamais personne ne demanda alors de supprimer le nom de Dieu du serment judiciaire. Comment tout cela a-t-il changé ? Que les amis des réactions et des compressions nous expliquent comment la réaction de 1860, un régime de silence pendant les dix premières années de l’empire, un régime de faveur, et de protection pour l’église pendant toute la durée de ce gouvernement, le succès des idées monarchiques en 1870, comment tous ces faits, au lieu de christianiser la France comme on le voulait, ont précisément déchaîné un esprit d’irréligion des plus violens. Comment une telle expérience, confirmant celle de la restauration, n’ouvre-t-elle pas les yeux des hommes éclairés ? Comment ne voit-on pas que toute tentative pour ramener sous le joug la société nouvelle ne peut avoir pour résultat que de faire éclater toutes les passions contraires ? La cause du mal étant connue, le remède est tout indiqué, et il n’y en a qu’un. Il faut accepter la société moderne et vivre avec elle. Demander la liberté et rester en état de guerre sont deux attitudes contradictoires. La liberté, c’est la confiance réciproque. Comment une telle confiance serait-elle possible en présence d’une hostilité absolue ? On dit qu’une telle réconciliation n’est pas possible, car n’est-ce pas l’église elle-même qui a déclaré par la bouche de son chef infaillible que « c’est une erreur de dire que l’église doit se réconcilier avec le progrès et la liberté moderne ? » Mais l’église a des trésors d’interprétation infinis dont les laïques ne sont pas juges. Déjà l’évêque d’Orléans, M. Dupanloup, s’était efforcé de prouver que le Syllabus ne signifiait pas ce qu’on croyait, et qu’il pouvait s’entendre dans un bon sens. Au lieu de pousser l’église à outrance et de la forcer de prendre à la lettre les doctrines qui nous blessent, favorisons ces interprétations complaisantes ; ouvrons la porte et déclarons-nous tout prêts à faire sa place à l’église dans la société moderne le jour où elle voudra s’y prêter. Nous ne pouvons lui céder l’état, cela est impossible, c’est une question tranchée ; l’état est laïque et restera laïque ; l’éducation doit être comme la loi, c’est une conséquence évidente. Mais dans une société laïque peut bien vivre une société religieuse qui consentirait à en reconnaître les lois. L’église vit paisiblement en Angleterre sous un régime de protestantisme officiel, Après avoir été persécutée pendant deux siècles ; elle vit paisiblement en Amérique sous un régime de liberté illimitée des cultes et des opinions ; pourquoi ne vivrait-elle pas en paix avec une société laïque qui repose sur les principes de la raison ? La distinction de la morale naturelle et de la morale révélée nous offre un terrain commun sur lequel les deux puissances peuvent s’entendre. « Les