Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

milieu social de leur temps, et que les femmes doivent rester étrangères à ce milieu, c’est établir une différence d’espèce entre les deux sexes : ce n’est plus la thèse de l’égalité dans la différence ; c’est la thèse de la sujétion et de la servitude. Ce n’est plus une question de religion, c’est une question de politique.

On accordera qu’un enseignement d’état pour les filles pourrait ne pas être irréligieux si l’on y joignait l’étude de la religion ; il n’en est pas ainsi dans la loi nouvelle, qui établit un enseignement purement laïque. Mais cette loi ne fait autre chose que d’appliquer aux Lycées de filles exactement les principes qui régissent depuis si longtemps nos lycées de garçons, sans que personne s’en plaigne. La loi, en effet, n’a établi en principe que des externats, et elle n’a pas prévu pour ce cas d’enseignement religieux. En est-il autrement dans nos lycées ? Nos lycées d’externes, tels que Condorcet et Charlemagne, ont-ils un enseignement religieux ? Même dans nos lycées d’internes, les externes proprement dits ne reçoivent au lycée aucun enseignement religieux. Quant aux lycées d’internes, ils ont sans doute des aumôniers qui donnent une instruction religieuse ; mais il en sera de même dans les internats de filles là où les communes voudront en établir. Le régime de ces établissement ne prête donc à aucune objection.

On a vu surtout une pensée et une intention irréligieuse dans l’institution d’un cours de morale séparé de la religion, et, comme on dit, de morale indépendante. Cette objection, qui ne porte pas seulement sur le programme des filles, mais sur l’introduction de la morale en général à tous les degrés de l’enseignement, repose sur une telle ignorance des principes de la question et elle a en soi une telle importance qu’il est indispensable de la traiter à fond.

Dans tous les temps, on a distingué une morale naturelle, une loi naturelle distinctes de la morale révélée, de la loi révélée. Cette distinction a lieu même pour la théologie et on sait qu’il y a une théologie naturelle, et une théologie révélée. Qu’il y ait une théologie naturelle, c’est-à-dire une science, qui, par les seules forces de la raison, peut arriver à connaître Dieu et ses attributs, non-seulement cela est conforme à l’orthodoxie, mais la doctrine contraire a été souvent condamnée par l’église, et c’est ce qui est du reste confirmé par l’exemple des plus grands chrétiens. Le Traité de l’existence de Dieu, de Fénelon, ne contient pas la plus légère allusion, je ne dis pas au catholicisme, mais même au christianisme ou à une révélation quelconque. On pourrait le croire écrit par un philosophe païen de l’école de Platon. Est-ce là cependant un livre irréligieux, une insinuation indirecte à se passer de religion ? Il en est de même, sauf un chapitre, qui net tient pas au