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dans l’éducation des femmes, — et nous avons vu qu’il en avait une grande, — peut-il se tenir pour satisfait d’un état de choses dont il ne sait rien ? On voit des personnes pieuses qui ne se croient pas du tout obligées de confier leurs enfans à des maisons ecclésiastiques ; elles ne sont pas mauvaises chrétiennes pour cela. Jamais on n’a soutenu pour les garçons que l’enseignement universitaire fût en soi un enseignement irréligieux : au moins cette opinion n’a jamais été le fait que du cléricalisme le plus extrême. Autrefois, avant la loi de 1850, les familles les plus religieuses envoyaient leurs enfans à l’université ; et aujourd’hui encore c’est plutôt le parti-pris politique que In croyance religieuse qui en éloigne, quelques-unes de nos écoles. Dans tous les temps, il y a eu de vrais chrétiens (Boileau, par exemple, Mme de Sévigné) qui ne se laissaient point du tout asservir à l’esprit ecclésiastique, et qui admettaient une raison profane, solide et éclairée, sans excès de dévotion. De tels esprits peuvent venir chercher l’instruction dans nos lycées sans qu’aucun de leurs sentimens intimes soit blessé. Pourquoi n’en serait-il pas de même de lycées des filles ? On dira peut-être que pour les hommes, même chrétiens, il n’est pas inutile d’avoir une certaine ouverture ou libéralité d’esprit, de faire connaissance avec les idées au milieu desquelles ils auront à vivre, lors même qu’ils devraient les combattre, il faut que les hommes apprennent à respirer l’air qui les entoure ; leur nature plus forte peut supporter le contact des choses modernes, de même que leur pudeur moins ombrageuse peut se familiariser plus facilement avec les libertés profanes de la littérature, et de la poésie. Mais les filles, plus délicates, ont besoin de plus de docilité ; elles doivent être élevées pour la simplicité de la vie domestique, pour l’obéissance, pour la piété, pour les vertus douces et timides : ce qui est un bien pour les hommes est un danger pour elles. Le caractère de l’Université, sans doute, n’est pas irréligieux, mais il est non religieux ; la religion n’y inspire pas lotit, n’est pas l’âme de tout ; elle a sa part réservée, mais pour le reste tout dérive de l’instruction profane. Un tel milieu étant le milieu social lui-même dans lequel nous sommes, les hommes peuvent s’y mêler sans trop de péril : les femmes, au contraire, ne peuvent qu’y contracter des habitudes d’esprit en contradiction avec leur vocation et leurs instincts naturels. Ces appréhensions et ces distinctions nous paraissent illégitimes. Il y a certainement une différence de délicatesse et de nuance entre l’enseignement des garçons et celui des filles, et l’université saura parfaitement eu tenir compte, comme l’expérience le prouvera, et même comme elle l’a prouvé déjà par les cours de la Sorbonne. Mais, soutenir que les hommes doivent être préparés au