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qu’au plus fort de sa lutte avec la papauté, M. de Bismarck a été un moment tenté de s’en prendre au gouvernement italien des discours et des anathèmes de Pie IX. La reconnaissance de la souveraineté et de l’inviolabilité pontificales demeure sous Léon XIII, aussi bien que sous Pie IX, la meilleure manière d’échapper à de pareilles responsabilités devant les consciences et devant les gouvernemens : ce n’est peut-être qu’un expédient, mais de tous ceux que l’on a imaginés, c’est encore le moins défectueux. A Rome comme ailleurs, un pape simple particulier risquerait d’être autrement gênant qu’un pape revêtu de la qualité de souverain.

L’Italie ne serait pas liée par ses promesses aux catholiques et ses engagemens de 1870, qu’elle n’aurait rien à gagner à la suppression des garanties accordées par elle au pontife romain. La loi de 1871, quelles qu’en soient les lacunes et les défauts, est encore la meilleure base d’un modus vivendi entre la monarchie unitaire et la hiérarchie catholique. Assurément, si les promoteurs des garanties pontificales se flattaient d’amener le Vatican à la paix, ces garanties ont manqué leur but; bien plus, elles ne pouvaient l’atteindre, au moins à bref délai. La papauté, quelques sûretés qu’on lui offrît en échange, ne pouvait oublier les avantages moraux ou matériels dont l’a dépouillée l’occupation de Rome. La manière même dont a été appliquée la loi des garanties n’a pas toujours été faite pour étouffer les regrets et les répugnances du saint-siège.

Le grand et vieux problème que l’Italie prétend avoir tranché par la loi de 1871, Léon XIII, non moins que Pie IX, se refuse à le considérer comme résolu. Il nous reste à voir quelles combinaisons le Vatican peut se flatter de substituer aux « garanties » actuelles, quels appuis le saint-siège peut rencontrer au dehors ou en Italie, quelles concessions il lui est permis d’attendre de la monarchie. La papauté et la maison de Savoie ont, depuis vingt-cinq ans, bien des griefs réciproques; si elles ont peu d’espérances ou d’ambitions communes, ne peuvent-elles à certaines heures être réunies par des intérêts ou des périls communs? Un rapprochement entre le Quirinal et le Vatican est-il possible, et à quelles conditions ? C’est là une question qui n’intéresse guère moins la politique générale de l’Europe que l’avenir religieux de la péninsule et de la chrétienté.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.