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qu’une souveraineté de tolérance, incapable de se soutenir par ses propres forces par les ressources qu’elle tirait de ses états. Dès avant 1 870 et la brèche de la porte Pia, on eût pu prétendre que ce n’était pas la royauté temporelle du pape, mais son caractère de pape, qui faisait respecter sa souveraineté.

Si l’unité italienne se fût effectuée à une époque de foi et d’homogénéité religieuse, où les titres spirituels du vicaire du Christ eussent été universellement reconnus, la souveraineté personnelle du pape aurait pu être aisément admise de l’Italie aussi bien que des puissances, et la solution de la question romaine, ou mieux, de la question pontificale, en eût été singulièrement facilitée. On y eût trouvé le meilleur moyen de séparer le temporel du spirituel, en leur laissant à chacun ce qu’ils n’ont jamais su s’accorder réciproquement, une pleine liberté et indépendance. Le problème que les âges de foi n’ont, en somme, jamais su entièrement résoudre est manifestement plus ardu à une époque de scepticisme, où, loin de rencontrer le respect général, l’église est en butte à tant de défiances et de haines. Et ce n’est pas là l’unique difficulté de plus, l’unique obstacle à la reconnaissance de la souveraineté personnelle du pape. Ce qu’on eût pu faire accepter des siècles qui étaient presque unanimes à reconnaître la coexistence de ce qu’on appelait les deux pouvoirs est devenu incomparablement plus malaisé, alors que cette conception même des deux pouvoirs est reléguée dans les écoles de théologie, que jurisconsultes et politiques s’entendent pour n’admettre d’autre pouvoir que l’autorité civile[1], que monarchies et démocraties tendent à l’envi vers l’omnipotence de l’état.

La souveraineté extraterritoriale du pape, on ne saurait se le dissimuler, a contre elle à la fois les instincts ou les préjugés de la démocratie et les notions courantes du droit public. Au point de vue pratique, et sous le rapport politique, cette souveraineté sui generis n’en reste pas moins la solution la plus simple, la moins défectueuse, tant pour les puissances étrangères qui ont à négocier avec la chaire romaine que pour les états chez lesquels peuvent résider les successeurs de Pie IX. La législation italienne l’a implicitement reconnu. De quelque façon qu’elle entende la souveraineté du pape, la loi des garanties lui a conféré le royal privilège des souverains constitutionnels, l’irresponsabilité. En déclarant sa personne sacrée et inviolable, l’Italie a indirectement proclamé le pape irresponsable, et cette irresponsabilité de droit vis-à-vis du gouvernement italien se change en irresponsabilité de fait vis-à-vis des gouvernemens étrangers, qui ne sauraient atteindre le Vatican qu’à travers

  1. Pour l’Italie, je citerai entre autres M. Minghetti : Stato e Chiesa, chap. III, et M. Cadorna : Illustrazione giuridica della formola di Cavour, 1882.