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L’article le plus favorable au saint-siège reste lettre morte. Un gouvernement fort n’eût pas manqué d’exiger le respect de la loi dans toute sa teneur ; il eût mis son honneur à prouver que l’Italie n’oublie pas les engagemens pris par elle en face de l’Europe. Aucun des nombreux ministères qui se sont succédé à Rome depuis 1871 n’a eu cette énergie. Comme, durant les dernières années, nos gouvernemens français avec l’église et le clergé, les cabinets italiens ont toujours été moins soucieux de l’intérêt général du pays et de son bon renom à l’étranger, que des attaques de la basse presse et des dénonciations des partis extrêmes. Les uns ont appliqué la loi des garanties de la même façon que les autres ont appliqué le concordat. À Rome ainsi qu’à Paris, tout en se piquant de maintenir la loi, on en a plus ou moins méconnu l’esprit, sinon violé les prescriptions.

À cette conduite, qui de la part d’un gouvernement est toujours une faute, parce qu’elle est une marque de faiblesse, les Italiens peuvent, il est vrai, trouver une excuse qui manque aux ministères français. Le deuxième article de la loi des garanties, beaucoup d’Italiens le confessent, n’est pas appliqué ; mais, selon eux, la responsabilité en revient au saint-siège autant qu’au gouvernement national ; au saint-siège, qui depuis quinze ans a employé toute son autorité à éloigner des fonctions publiques les citoyens sur lesquels il possédait quelque ascendant ; au saint-siège, qui de cette façon a systématiquement discrédité et énervé les influences conservatrices. Après leur avoir obstinément enlevé une grande partie de leur clientèle naturelle, comment peut-il s’étonner de leur déclin dans les conseils du gouvernement ? comment ose-t-il s’en plaindre ? Léon XIII, disent les anciens modérés, est aussi mal venu que Pie IX à gémir de faiblesses dont sa propre politique est la principale cause[1].

Ce langage, chez la plupart de ceux qui le tiennent, est d’une parfaite sincérité ; et, pour nous, il est hors de doute que, sur ce point, leurs reproches ou leurs regrets ne sont pas sans fondement. Par malheur, ici comme en maintes questions politiques, on tourne dans un cercle vicieux. Certes, la pleine et loyale exécution de la loi des garanties serait singulièrement facilitée si le saint-siège y voulait donner son concours. On pourrait même soutenir, avec certains publicistes, qu’une pareille loi ne peut être entièrement respectée que si elle est acceptée de ceux qui en doivent bénéficier. Mais, en même temps, comment espérer gagner à la loi l’acquiescement du pape et des catholiques quand on en laisse impunément violer les prescriptions essentielles ? Comment leur donner confiance dans ces garanties sans leur en avoir assuré l’exécution ?

  1. Voyez, entre autres, M. Bonghi, Nuova Antologia, janvier 1883.