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que soulèverait une pareille transaction, il est peu vraisemblable qu’un gouvernement parvienne jamais à la faire agréer des chambres, sinon du pays. D’un autre côté, si jamais le Vatican accepte quelque chose du pouvoir qui l’a dépouillé, ce ne sera que sous une forme qui sauvegarde sa dignité.


III.

De la propriété et de l’indépendance matérielle passons à la souveraineté et à l’indépendance spirituelle. Après tout, peut-on dire, la première, si importante qu’elle soit, n’a qu’une valeur secondaire. C’est là une question que le saint-siège et les catholiques peuvent régler tout seuls sans le secours de personne, et, de fait, quelque défectueuse qu’en soit l’organisation, quelque précaires qu’en semblent les revenus, c’est ce qu’ont fait Pie IX et Léon XIII avec le denier de Saint-Pierre. Les papes n’ont pour cela besoin d’aucun gouvernement ; ils ont plus à perdre qu’à gagner aux subsides de l’Italie ou de toute autre puissance. Mieux vaut pour eux continuer à vivre des aumônes des fidèles, comme ils l’ont fait durant des siècles, comme le fait encore leur propre clergé en Angleterre, en Irlande, en Amérique. Ne devant rien à aucun gouvernement, ils seront plus libres en face des puissances et des partis. Ils n’auront rien à redouter des variations de la politique ni de la séparation de l’église et de l’état. Ils se seront mis d’eux-mêmes dans la position où leurs adversaires veulent ailleurs réduire le clergé, et, ayant pris les devans, ils auront eu le temps de prendre leurs mesures, de s’assurer des revenus qu’aucun gouvernement ne saurait tarir. Si le denier de Saint-Pierre rend moins depuis la mort de Pie IX, Léon XIII est un administrateur économe qui, à force d’ordre, saura bien abaisser les dépenses du Vatican au niveau de ses revenus. Qu’il ait l’air d’être persécuté, et les aumônes afflueront. Plus le saint-siège se montrera indépendant des puissances, plus hostiles lui sembleront les gouvernemens, et plus généreux se montreront les croyans. Qui sait ? un jour viendra peut-être où la papauté, centralisant les ressources pécuniaires de la plus grande communauté du globe, redeviendra une puissance financière disposant d’abondans capitaux, où, à la place de sa chétive royauté temporelle, elle jouira de l’ascendant que donne dans nos sociétés matérialistes l’empire de l’argent. Il ne faut pas, en effet, oublier que, si dans nos vieux pays catholiques, le bas peuple semble se détacher de plus en plus de l’église, les classes supérieures, les classes riches ou aisées continueront longtemps, pour des raisons que nous