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ont habité de préférence les derniers papes et Pie IX lui-même jusqu’à la révolution de 1848. Au lieu de lui bâtir ou de lui acheter un palais, on a pris pour le roi la maison du pape. Avec le Quirinal, où Victor-Emmanuel répugnait tant à s’installer, on a enlevé au pape la plus confortable de ses résidences, son palais d’été pour ainsi dire, le seul où se pussent rassembler les conclaves dans la belle saison. Qui ne sait quelle est alors l’insalubrité du Vatican ? S’il n’est pas sain pour un pape acclimaté, que serait-ce pour des cardinaux appelés à l’improviste de tous les coins de l’univers ou de l’Europe ? Un conclave au Vatican, en juillet ou en août, équivaudrait à une épidémie sur le sacré-collège ; les derniers de ce genre ont laissé de terribles souvenirs[1]. Pie IX serait mort lors de la canicule, dans la saison où le roi d’Italie jouit des ombrages de Monza et où tous les hauts fonctionnaires ont déserté la capitale que les cardinaux, qui, en 1878, ont sérieusement hésité à faire l’élection à Rome, eussent probablement été contraints de transporter le conclave ailleurs et de chercher un abri au nord. Mais passons. Les deux palais qu’on a laissés aux papes, aux deux extrémités presque également solitaires de Rome, le Vatican et le Latran, avec leurs deux grandes basiliques, l’une cathédrale traditionnelle des pontifes romains, l’autre monument immortel de la splendeur des papes du XVIe siècle ; ces palais et ces églises, plusieurs fois rétablis avec les offrandes de la chrétienté, vous semblez croire comme le vulgaire que l’Italie en a reconnu au saint-siège la propriété. Erreur ; ce que la loi des garanties reconnaît au successeur de Jules II et de Léon X, ce n’est nullement la propriété du Vatican ou du Latran, c’est tout bonnement l’usufruit, la simple jouissance. Par une fiction imitée de votre droit public, et dont malgré son peu d’équité, le principe se comprend pour des monumens d’origine essentiellement nationale ou communale, les temples élevés à Rome avec l’argent de toutes les nations, Saint-Pierre du Vatican, qui a coûté à l’église le schisme de la moitié de l’Europe, ces palais que depuis des siècles les papes se sont plu à décorer à la gloire de la religion, tout cela est déclaré implicitement bien de l’état, propriété nationale, avec les trésors qu’y ont accumulés les souverains pontifes, avec toutes les richesses d’art ou de science qu’ils se sont transmises depuis quatre ou cinq cents ans. Et ce n’est pas là une simple fiction, une subtile distinction juridique ; on a vu en certaines circonstances les juristes italiens dénier au saint-siège le droit de disposer de ses collections, de ses bibliothèques, de ses propres archives sans autorisation de l’héritier des

  1. M. Bonghi (il Papa futuro, p. 291) écrit lui-même à ce propos : Un conclave di state in Vaticano non era previsto senza sgomento. Ve n’era stati de’ mortalissimi.