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de naguère: L’église libre dans l’état libre? Est-ce en ressuscitant indirectement l’exequatur et le placet royal, après en avoir hautement répudié l’héritage ? en contestant au pape la libre nomination des évêques après la lui avoir publiquement abandonnée? Est-ce en revendiquant, à Naples et en Sicile, vous, les spoliateurs du saint-siège, les privilèges du « patronat royal » concédé autrefois, en échange de ses services à la chaire romaine, à une dynastie renversée par vos intrigues? Est-ce en retirant perfidement à l’église de la main gauche ce que vous lui aviez solennellement donné de la main droite[1]? Est-ce en enrôlant dans vos troupes les clercs italiens et en dispersant les pacifiques milices qui, de tout temps, ont été les plus vaillans auxiliaires du saint-siège dans les grandes luttes du catholicisme? Si, à vos yeux, le pape et l’église sont libres dans votre Rome capitale, quelle idée vous faites-vous donc de leur liberté? Le pape est-il libre parce qu’il n’a pas les fers aux mains et qu’il ne gît point sur la paille au fond de la prison Mamertine ? Est-il libre parce qu’il habite le radieux palais des Bramante et des Raphaël, et qu’autour de lui se meut une petite cour ecclésiastique silencieuse et docile? parce que, au-dessous de la colonnade du Bernin, il n’y a pas de carabiniers italiens chargés d’interdire l’entrée de sa demeure et qu’on ne lui a pas encore défendu de recevoir l’obole des fidèles? Est-il libre parce qu’il peut circuler dans les longues galeries du Vatican, au pied des bustes ou des statues des Césars que le Christ a vaincus, et que l’été il peut, à toutes les heures du jour et de la nuit, respirer sans obstacle les miasmes de la fièvre dans les jardins du Vatican? Si c’est là le tout de la liberté pontificale, le saint-père est libre[2]. Mais est-ce pour cela seulement que le pape est pape? Est-ce pour vivre enfermé dans un palais, y écrire des encycliques et y fêter à huis-clos les solennités que votre présence lui interdit de célébrer publiquement dans les basiliques élevées par la papauté avec l’or de toutes les nations ? » À ces ardentes invectives, auxquelles un ancien ministre français prêtait naguère la chaleur de son éloquence, qu’opposent les défenseurs de l’Italie et de la monarchie unitaire? A y regarder de près, les plus habiles répondent par une série de distinctions. Toutes ces lamentations sur l’auguste captif du Vatican reposent, à les en croire, sur une triple ou quadruple confusion. Il y a confusion entre la situation de l’église dans le royaume d’Italie et la situation personnelle du souverain pontife à Rome ; confusion entre le pape, en tant que chef de la catholicité, et le pape, en tant qu’évêque de la ville éternelle ; confusion entre le rôle extérieur ou les pompes traditionnelles

  1. Expression de Léon XIII, lettre au cardinal Nina, 1878.
  2. E. Ollivier, le pape est-il libre à Rome? Paris, 1882.