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quelquefois si nécessaire (par exemple, l’emprunt des 5 milliards), qu’ils semblent bien prouver une loi sociale ou, comme on dit aujourd’hui, sociologique, à laquelle on ne peut se soustraire et à laquelle il faut coopérer vaillamment et prudemment, pour en tirer tous les profits possibles, en en évitant tous les inconvéniens. Pour nous borner à notre sujet, ce qui caractérise le mouvement moderne en matière d’instruction, c’est la diffusion des connaissances et des lumières dans tous les sens, à tous les degrés, sous toutes les formes. De même que l’on répand des milliers d’annonces dont une seule va peut-être à sa destination, de même c’est en répandant beaucoup de lumières, beaucoup d’idées, beaucoup d’instruction qu’on fera germer quelques semences ; c’est en employant tous les moyens d’action, la liberté et l’enseignement public, les livres et les cours, les bibliothèques et les laboratoires, les examens et les bourses ; c’est en multipliant toutes ces influences et en les prolongeant avec patience pendant de longues années (car une société ne vit pas seulement un jour), qu’on aura une société instruite dans son ensemble et dans sa totalité. Cette diffusion intellectuelle est en accord avec les progrès matériels qui se sont introduits dans d’autres sphères et, en particulier, dans l’industrie locomotrice. On n’a pas encore mesuré toutes les conséquences sociales que devra produire l’établissement des chemins de fer : elles seront au moins aussi considérables, sinon plus, que celles de la découverte de l’imprimerie. Les chemins de fer ont répandu l’aisance jusque dans les derniers centres de population ; la conséquence en doit être la propagation de l’instruction, car, lorsque les hommes s’enrichissent, ils tendent à s’éclairer. Les chemins de fer ont encore un autre effet ; c’est qu’en rapprochant les hommes les uns des autres, ils leur communiquent la curiosité, l’amour des voyages, l’amour du nouveau et, par suite, l’amour de la lecture et le désir de s’instruire. Multiplication matérielle des moyens de communication, multiplication morale et intellectuelle des moyens de s’instruire sont deux faits corrélatifs dont le second est non-seulement la conséquence, mais encore le correctif du premier. Dans une société où le progrès matériel est immense, il faut que le progrès intellectuel se développe en proportion. Les moyens de jouir augmentant, si la raison et la pensée ne s’élèvent pas, vous aurez une civilisation barbare, une corruption raffinée. La culture doit donc s’étendre avec l’industrie, avec le commerce, avec l’aisance matérielle ; autrement le corps social ne sera qu’un corps sans âme, un lôviathan formidable et dévorant.

Si cm se rend bien compte des idées que nous venons de résumer, et de la nécessité de ce mouvement d’ensemble par lequel