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l’enseignement primaire. En Allemagne, où l’instruction est si florissante et si honorée, l’état est souverain en matière d’enseignement. En France, l’université a pu être plus ou moins menacée dans son indépendance aux diverses époques de réaction qui ont eu lieu depuis 1789, mais jamais on n’en a proposé la suppression ; et il n’est pas un homme. raisonnable, à quelque parti qu’il appartienne, qui voulût déposséder l’état du droit d’enseigner. Le principe une fois posé, la seule question est celle-ci : l’état, qui ne croit pas de voir se désintéresser de l’éducation des hommes, doit-il se désintéresser de l’éducation des femmes ? Il nous semble que la question ainsi posée se résout d’elle-même. Examinons-la cependant de plus près.

Pourquoi l’état, d’un commun accord, ne peut-il se désintéresser de l’éducation des hommes ? C’est que, chargé d’assurer la sécurité du pays, il a intérêt à avoir des citoyens éclairés qui obéissent aux lois et des fonctionnaires éclairés qui les exécutent. C’est de plus que chargé, sinon de produire la richesse publique, au moins de la défendre, de l’administrer, de la favoriser, il a intérêt à avoir les citoyens les plus habiles dans la production et l’exploitation des richesses ; or c’est une loi économique que le développement de la richesse est en proportion du développement intellectuel d’un pays. C’est encore parce que l’état, chargé de la défense nationale et de la gloire de la patrie, a intérêt à ce que la connaissance de la patrie, de ses grandeurs, de ses malheurs, de son rôle dans le monde soient propagés chez le plus grand nombre des citoyens ; or ces connaissances sont liées à beaucoup d’autres. C’est encore l’intérêt de l’état de favoriser la culture intellectuelle pour elle-même, indépendamment de ses résultats ; car un peuple éclairé, instruit, lettré, un peuple où se produisent de grandes œuvres en littérature et dans les sciences, un peuple qui fournit les autres peuples d’œuvres utiles ou agréables, chez lequel se multiplient les inventions utiles ou les découvertes scientifiques, et chez lequel brillent l’art de parler, l’art d’écrire, l’art de causer, l’art épistolaire, un peuple, en un mot, qui brille par l’esprit, est un peuple plus civilisé, et, toutes choses égales d’ailleurs, supérieur aux autres. Or c’est le rôle de l’état non pas de produire, mais de favoriser et d’encourager la civilisation. C’est pour toutes ces raisons que l’état s’est investi, dans tous les pays du monde, du droit d’enseigner.

Aussi a-t-on vu l’enseignement de l’état s’étendre de plus en plus et envelopper des zones nouvelles qu’il ne comprenait pas d’abord. Lors de la fondation de l’Université, en 1810, on s’est seulement occupé de l’enseignement secondaire ; on avait négligé l’enseignement primaire : en 1833, sous l’impulsion de M. Guizot,