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et dépend des circonstances, du mouvement des choses, des accidens imprévus dans l’antagonisme des grandes influences qui se partagent le monde. Que peuvent de petits souverains comme le roi de Serbie, le roi de Roumanie ? Ils sont eux-mêmes subordonnés à des considérations d’opinion, de religion, de race, puissantes dans leur pays, dans tout l’Orient. Ils sont des alliés aujourd’hui, ils peuvent ne plus l’être demain. On le voit bien en ce moment même en Serbie, où, pendant que le roi est à Hombourg, auprès de l’empereur Guillaume, le pays se détache avec éclat dans les élections de la politique qui a conduit le prince en Allemagne, dont le gouvernement s’était flatté d’assurer la victoire.

Rien de plus instructif, de plus significatif, en effet, que ce qui se passe à Belgrade, dans ce petit royaume serbe qui a eu un jour l’ambition d’être le Piémont des Balkans. Il y a à Belgrade un ministère conservateur arrivé au pouvoir à la place d’un cabinet que présidait M. Ristich et qui était réputé pour ses inclinations russes. Le ministère conservateur, dont M. Pirotchanatz est le chef, représente, à vrai dire, depuis qu’il existe, depuis trois ans, une victoire de l’influence autrichienne. Il est né et il a vécu avec la faveur de l’Autriche, dont il s’est étudié à se faire l’allié empressé. Il n’a laissé échapper aucune occasion de donner toute satisfaction au cabinet de Vienne, notamment dans une question importante : dans l’affaire du raccordement des chemins de fer, qui, aussi bien que la navigation du Danube, a un intérêt politique autant que commercial en Orient. C’était naturellement pour lui un succès de faire entrer plus ou moins la Serbie dans l’orbite de l’alliance austro-allemande, qui lui assurait une protection puissante en donnant une apparence de prestige au jeune royaume, et le dernier mot de cette politique est le voyage que le roi Milan a fait récemment en Allemagne. Qu’est-il arrivé cependant ? Le jour est venu oij il a fallu procéder à des élections nouvelles de l’assemblée nationale, de la skouptchina. C’était tout dernièrement. Le ministère n’avait certes rien négligé pour obtenir un scrutin favorable, et, jusqu’à la dernière heure, il s’est cru victorieux ; il a même annoncé son succès à toute l’Europe. Ce n’était qu’une illusion. Les conservateurs ministériels n’ont eu que trente-quatre élections, les radicaux et les libéraux adversaires du cabinet ont eu près de quatre-vingts nominations. Il reste, il est vrai, une suprême ressource : la constitution serbe donne au prince le droit de nommer lui-même le quart des membres de l’assemblée ; mais, même avec cette espèce de coup d’autorité, on n’arrive pas encore à avoir une majorité ministérielle. De sorte qu’au moment où le roi Milan se trouvait à Hombourg en allié de l’Autriche et de l’Allemagne, le pays condamnait le système de son gouvernement. Il ne faudrait pas, en effet, trop s’arrêter à ces noms de