Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de supprimer la différence des sexes serait de supprimer le mariage et la maternité : c’est ce qu’on a appelé la grève des femmes ; elle ne paraît pas encore fort à craindre ; et, tant qu’il y aura des différences d’organisation et de fonction, il y aura des différences d’éducation. Mais le principe de l’égalité dans la différence implique qu’il n’y aura d’autre diversité que celle qui résulte de la nature des choses, et que ces différences naturelles ne doivent pas être exagérées par l’orgueil du maître. Le rôle de la femme dans la vie de l’homme n’est pas seulement un rôle de plaisir et un rôle d’utilité, comme quelques-uns sont assez tentés de le penser. Depuis qu’il a été reconnu que la femme avait une âme, il faut bien avouer qu’elle est appelée à quelque chose de mieux. Il y a, il doit y avoir dans la famille, entre l’homme et la femme, une communauté intellectuelle et morale, et dans la société une influence légitime et nécessaire des deux sexes l’un sur l’autre ; enfin, dans l’éducation des enfans, une direction intelligente et élevée. Or, ce commerce dans la famille, cette influence dans la société, cette direction dans l’éducation exige une moyenne d’instruction qui soit, sinon identique, du moins analogue de part et d’autre. Il résulte de l’enseignement secondaire donné aux hommes une certaine moyenne d’idées générales qui constitue la raison publique de nos jours. Il faut que les femmes participent à cette moyenne ; il faut que ces idées générales s’introduisent, par d’autres moyens, dans l’éducation de l’autre sexe, afin qu’il y ait un terrain commun qui permette les influences réciproques. La question est donc de savoir si, dans l’état actuel des choses, il y a une suffisante analogie ou proportion entre l’éducation des hommes et celle des femmes. Peut-on dire que celles-ci ont toute la culture dont elles sont dignes et à laquelle elles ont droit ? Les différences qui subsistent sont-elles uniquement celles qui résultent de la nature des choses ? Tandis que l’éducation des hommes est, depuis des siècles, l’objet des méditations et des efforts des savans et des hommes d’état, le hasard, le décousu, l’absence de méthode et de principes ne sont-ils pas les traits caractéristiques de l’éducation féminine ? Il est donc de toute nécessité et de toute justice de donner à cette éducation un élan nouveau, un but précis, et des moyens abondans et proportionnés.


III

Laissons la question de principe qui, après tant de protestations des esprits les plus éminens, peut être considérée comme vidée ; passons à une question bien plus délicate et qui partage bien davantage les esprits, celle de l’éducation des filles par l’état.