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comme insuffisant pour sauvegarder les intérêts de la France, et M. Bourée était ni plus ni moins rappelé pour s’être prêté à cette négociation. Le rappel de M. Bourée, les déclarations de M. le minisire des affaires étrangères, les crédits demandés aux chambres, les expéditions de renforts, tous ces faits n’avaient aucun sens, ou ils signifiaient que le gouvernement français était désormais décidé à en finir d’autorité avec toutes les résistances des « pavillons noirs, » des Annamites leurs complices, et de la Chine elle-même, s’il le fallait. C’était une politique qui n’était peut-être pas exempte d’illusions, qui ne prévoyait pas tout, qui pouvait avoir ses inconvéniens et ses périls, mais enfin c’était une politique.

Eh bien ! quatre mois sont passés ; qu’en est-il de toutes ces résolutions dont on accablait ceux qui hasardaient de timides observations sur la manière dont nos affaires étaient conduites ? À quoi est-on arrivé ? C’est ici justement que reparaît l’incurable faiblesse de cette politique ministérielle qui se montre partout remuante et stérile, qui veut et ne veut pas, qui tiendrait à briller et ne sait se préparer que des mécomptes. En réalité, on est moins avancé qu’il y a quatre mois, puisqu’on a passé ce temps à ne rien faire ou à peu près, puisqu’on n’est arrivé qu’à compliquer encore une situation déjà assez difficile. Il y a eu, il est vrai, le brillant fait d’armes de Hué, cette rapide et vigoureuse action exécutée par nos marins sous l’intelligente direction de M. l’amiral Courbet ; il y a eu aussi ce traité du 25 août, qui a été conquis par la marine, qui est le renouvellement et l’extension de notre protectorat sur l’Annam. Soit ; mais il est bien clair que ce traité, eût-il une valeur qui n’est pas encore très évidente, ne décide rien. Sans doute, d’un autre côté, les soldats qu’on a envoyés ont fait leur devoir devant l’ennemi. Toutes les fois qu’ils ont été engagés dans des opérations qui n’ont guère été jusqu’ici que des sorties, ils se sont battus vaillamment, comme ils le font toujours sous des chefs qui leur donnent l’exemple ; mais il n’y avait pas à s’y tromper, ces renforts qu’on a envoyés étaient notoirement insuflisans, et les compagnies nouvelles qu’on fait partir encore aujourd’hui d’Alger sont elles-mêmes insuffisantes pour une action sérieuse et prolongée. Le gouvernement ne s’est visiblement pas rendu compte des conditions, des nécessités d’une entreprise poursuivie dans ces régions lointaines. Il tombe dans l’erreur où il est tombé déjà pour l’expédition de Tunis.

La vérité est que rien n’est prêt pour de vraies opérations de guerre, s’il fallait en venir là, — et ce qui complique bien plus encore ces malheureuses affaires du Tonkin, c’est cette étrange combinaison d’un commissaire civil exerçant des pouvoirs supérieurs même sur l’armée. Notez que le cabinet n’était aucunement obligé à instituer cette fonction bizarre et à en charger un médecin ; — que le sénat s’était sagement refusé à sanctionner une création de ce genre ;