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venu auprès du pays, et à l’aide duquel on couvre les incessantes concessions au radicalisme. La vérité est que cette politique régnante, bien différente de la vraie politique modérée qu’on peut lui opposer, n’a réussi qu’à tout ébranler, à mettre en doute les institutions les plus sérieuses, à troubler profondément toutes les conditions de la vie française, et à produire justement cet indéfinissable malaise qui éclate partout.

Oui, on a si bien fait depuis quelques années, on s’est si bien laissé aller, par complicité ou par faiblesse, par suffisance et par insuffisance, aux plus médiocres inspirations de parti, que tout devient également difficile aujourd’hui. Il est positivement difficile d’aller plus loin sans tomber dans des crises aiguës, redoutables pour les plus sérieux intérêts du pays ; il est peut-être tout aussi difficile de s’arrêter dans la voie où l’on est entré, de résister aux courans factices qu’on a créés, de revenir, en un mot, à de meilleures conditions de gouvernement.

Ce ne serait rien encore, ou du moins il n’y aurait rien d’irréparable, s’il ne s’agissait que des affaires intérieures momentanément compromises, si tout se passait pour ainsi dire entre nous ; mais les conséquences d’une fausse politique, d’une fausse direction ou de l’absence de direction, sont bien autrement graves dans les affaires extérieures, où il n’est pas de faute qui ne se paie par une diminution du crédit de la France dans le monde. Il n’est point douteux que notre politique extérieure a passé depuis quelques années par des phases bien singulières, ou plutôt elle va au hasard sans se rattacher à rien de saisissable, sans se proposer un but précis et défini. Nous avons des ministres qui passent leur vie à s’avancer ou à reculer à contretemps, lançant au loin des agens qu’ils ne tardent pas à désavouer, disposant des finances, des armes de la France sans consulter les chambres ; ils s’engagent témérairement sans savoir ce qu’ils veulent faire, jusqu’où ils pourront aller, et le résultat est cette série d’entreprises qui, mieux conçues, auraient pu sans doute avoir un intérêt sérieux, mais qui, par la manière dont elles sont exécutées, deviennent une source d’embarras et d’inquiétudes pour le pays. Ainsi ont marché toutes ces affaires qui se sont succédé depuis quelques années : et ces affaires égyptiennes où M. de Freycinet a eu le triste honneur de conduire le deuil de la politique française ; et cette affaire de Madagascar marquée par le désaveu d’un vaillant amiral qui est revenu mourir dernièrement à Toulon ; et cette affaire du Tonkin qui semble résumer tous les traits de la politique décousue de ces derniers temps. Que n’a-t-on pas dit autrefois de la guerre du Mexique, de l’esprit aventureux et des expédiens financiers de l’empire ? Il faudrait prendre garde de ne pas recommencer une expédition mexicaine sur les bords du fleuve Rouge, en y ajoutant même des perfectionnemens ou des raffinemens par la façon étrange dont on procède dans toute cette