Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/714

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

justice, des traditions de prudence et de dignité dans la direction des affaires extérieures.

Après tout, à ne juger les choses qu’au point de vue des intérêts du régime nouveau, tant que cette politique a eu quelque influence dans les conseils du pays, elle a aidé la république à s’établir, à s’accréditer en inspirant une certaine confiance. Par quels actes s’est signalée au contraire la politique qui règne aujourd’hui ? Oh ! elle a certes déjà une histoire complète. C’est elle qui a fait l’amnistie, au risque de paraître innocenter un des crimes les plus néfastes des annales françaises. Elle a reçu les finances en pleine prospérité et elle les a conduites au déficit par l’exagération des dépenses, en aggravant la dette, en augmentant les traitemens, en inscrivant au budget dix millions de pensions pour une clientèle de parti. Elle a trouvé le pays en pleine paix religieuse et elle a réussi à troubler cette paix, à émouvoir les consciences en mettant au service d’un fanatisme de secte les procédés discrétionnaires des régimes d’absolutisme. Elle a voulu s’illustrer par sa diplomatie, et elle a signé l’abdication de la France en Égypte. C’est elle qui, sous prétexte de réforme judiciaire, a mis au monde cette œuvre sans nom dont M. le garde des sceaux poursuit aujourd’hui l’exécution avec un arbitraire tranquille et inexorable, chassant de leur siège des magistrats respectés qui ont toujours gardé la mesure la plus sévère, improvisant des présidens, des conseillers et des juges dans un intérêt de parti. Voilà les œuvres du système républicain tel qu’on le comprend aujourd’hui. Et quand M. le ministre de l’intérieur, dans un discours qu’il a prononcé ces jours derniers en province, affecte d’invoquer, lui aussi, la « modération, » de faire appel aux « hommes sages, » connus pour leur « bon renom » et leur « passé, » de vanter la nécessité d’un « gouvernement d’ordre, de prévoyance et de justice, » on peut se demander s’il parle sérieusement ou si ce n’est pas une ironie. Ce mot de « modération » appliqué aux actes de la politique républicaine telle que les derniers cabinets l’ont pratiquée, fait vraiment une étrange figure, et si c’est par ce moyen que M. le ministre de l’intérieur compte rallier « les hommes sages, » il se trompe gravement. M. le ministre de l’intérieur demande qu’on juge le gouvernement qu’il représente par ses actions, par sa conduite, « par ce qu’il est, » non par les déclamations enflammées d’une opposition injurieuse : c’est précisément à ses actions, à ce qu’il a déjà accompli, qu’on mesure ce qu’il vaut, ce qu’il promet au pays. Plaisante manière de se dire « un gouvernement d’ordre, de prévoyance et de justice, » à côté de M. le garde des sceaux exécutant froidement la magistrature française par une représaille tardive de parti ! Ce qu’on appelle la « modération, » c’est tout simplement un certain langage dont on se plaît à se servir dans les grandes circonstances, sans doute parce qu’on le croit bien-