Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/713

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dure encore, n’a été qu’un règne assez médiocre et assez violent. On a l’instinct qu’avec des majorités qui ne vivent que pour satisfaire leurs passions et leurs convoitises, qui sont les esclaves du plus vulgaire esprit de parti, et des ministres qui ne s’assurent une existence précaire de quelques mois qu’en flattant ces majorités, il n’y a pas moyen d’aller longtemps. On comprend qu’à ce triste jeu, tous les ressorts de gouvernement finissent pas s’user, et qu’avec les procédés dont on a chaque jour le spectacle, il n’y a plus de garanties ni pour l’adminislration des finances, ni pour la direction des affaires diplomatiques, ni pour l’indépendance de la justice, ni pour l’organisation des forces militaires du pays. On sent que le système est à bout, qu’il a tout épuisé. C’est ce qui explique et le malaise qui se manifeste un peu partout et l’intérêt d’une question qui a sûrement son à-propos à la veille de la rentrée des chambres, qui depuis quelque temps a reparu dans les polémiques : cette question est celle d’un retour à des conditions plus conservatrices, de la reconstitution d’un parti modéré.

L’idée est certainement aussi honnête que juste, et, si on peut la réaliser, on aura rendu le plus utile des services à la république elle-même, puisqu’en la retenant sur une pente fatale, on lui aura restitué les moyens de vivre ; mais il n’y a pas à s’y tromper : on a fait du chemin depuis le jour où la république acceptait encore l’aUiance des opinions conservatrices à l’aide desquelles elle a pu s’établir, et les modérés ont siirement de singulières ditficultés à vaincre pour reprendre un rôle sérieux, actif, dans la direction de la politique du pays. Il faut qu’ils se décident à soutenir une lutte de tous les instans sur toutes les questions et qu’ils soient résolus à rompre avec le gouvernement lui-même, à accepter la chance de n’être qu’une minorité ; il faut qu’ils cessent de se confondre dans une majorité dont ils ne partagent ni les opinions ni les sentimens, et qu’ils ne craignent pas de s’établir dans leur propre camp avec leur drapeau, avec leurs idées. Ils seront accusés d’être des réactionnaires, des cléricaux, des monarchistes et, à ce titre, exclus de la communion républicaine : c’est possible, ils auront cela de commun avec d’autres hommes qui sont pourtant de vieux républicains, et qui passent pour des réactionnaires depuis qu’ils ont courageusement défendu la liberté de conscience, l’indépendance de la justice, ou signalé les désastreuses erreurs financières et diplomatiques de la majorité et du gouvernement. Ils ne réussiront pas du premier coup, dira-t-on ; c’est encore possible. Ils seront ce qu’ont été d’abord toutes les oppositions peu nombreuses aux prises avec des majorités et des pouvoirs infatués ou abusés. Ils resteront en plein parlement, devant le pays, les représentans d’une politique sensée, éclairée, libérale, des idées de prévoyance et d’économie dans les finances, de l’équité et du droit dans les affaires de la