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à l’objet qu’ils poursuivent, que le point de savoir à quel endroit précis d’une rue de Paris est né Molière, ou même si c’est sa vraie mâchoire que possède le musée de Cluny.

Remarquez, en effet, que, dans cette brève énumération, nous ne réclamons d’eux aucun travail qui ne soit strictement de la compétence qu’ils se sont eux-mêmes assignée. Nous ne leur demandons, dans un siècle d’érudition, que de faire œuvre d’érudits. Mais nous disons seulement, qu’ici comme en tout, il conviendrait de commencer par le gros de l’ouvrage, et que peut-être ce n’est pas le temps de publier leurs petits papiers quand on aurait ailleurs, pour des travaux plus utiles, un pressant besoin de leur zèle. Et nous ajoutons même que s’ils l’employaient, ce zèle si... brouillon, et ce temps si savamment perdu, rien qu’à lire seulement les écrivains qu’ils commentent, ce serait autant de gagné. Car, tandis qu’avec cette apparente ardeur de dévoûment à la science, qui n’est au fond que du dilettantisme, — et, chez quelques-uns, de la paresse, — on remue les paperasses pour y découvrir de l’inédit, ce sont les écrivains, tels que nous les avons sous la main, dans les éditions de leurs œuvres, que nous négligeons, je ne dis pas de lire, mais de feuilleter seulement. Eh ! oui, le document inédit, nous savons comment cela se traite ! A peine est-il besoin « d’aller » soi-même, et de « ramasser; » il suffit d’avoir à ses gages un copiste fidèle. Et dans le cas où, comme il arrive quelquefois, on pousse le scrupule jusqu’à faire sa besogne de ses propres mains, je soutiens, pour prendre un exemple déterminé, qu’il n’y a pas de comparaison entre ce que coûterait de temps, de travail, de fatigue même, si je l’ose dire, une lecture approfondie des œuvres de Bossuet, et ce qu’en coûte effectivement la collation d’une douzaine de ses Sermons choisis; à plus forte raison, la transcription de ce qu’il est demeuré, de ce qu’il demeure encore d’inédit parmi ses papiers de la Bibliothèque nationale.

Si je nomme ici Bossuet de préférence, on n’ignore pas sans doute pourquoi. C’est qu’il est arrivé déjà maintes fois, et tout récemment encore, à nos laborieux chercheurs, de nous présenter sous le nom de Bossuet des fragmens inédits qui n’avaient, en vérité, qu’un tort : celui de ne pas être inédits quand ils étaient de Bossuet, ou de ne pas être de Bossuet quand ils étaient inédits. Donnons-nous à ce propos le spectacle, instructif de notre ignorance. L’un de ces heureux chercheurs, M. Louis-Auguste Ménard, publie un beau matin, comme vers inédits, trois ou quatre cents vers de Bossuet, imprimés depuis quinze ou seize ans dans toutes les bonnes éditions des Œuvres. Il se passe plus de huit jours avant que quelqu’un s’avise d’en faire l’observation; et pendant ces huit jours, ce que l’on met en discussion, c’est l’authenticité des vers ! Un ou deux mois plus tard, encouragé sans doute par ce premier succès, M. Ménard nous révèle comme