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nous avons au moins, pour y suppléer, dans une certaine mesure, les huit volumes de M. Desnoiresterres, une des meilleures biographies qu’il y ait; et nous aurons bientôt, dans les trois volumes de M. Bengesco, si nous en jugeons par le premier, une excellente Bibliographie de Voltaire. Mais c’est tout, ou à peu près tout. Nous n’avons pas de biographie de Montesquieu, car le livre de M. Louis Vian, qui passe pour en tenir lieu, ne saurait exactement servir, nous l’avons déjà dit, qu’à celui qui voudra le refaire. Nous n’en avons pas de Rousseau, ou du moins, celles que nous en avons sont à celle qu’il nous faudrait ce qu’est la Vie de Voltaire, de Condorcet, au livre de M. Desnoiresterres. Les Allemands en ont, ils en ont même plusieurs, et les Anglais aussi. Nous n’en avons pas non plus de Diderot. Les Allemands en ont une en deux volumes, deux gros volumes, signés du nom de Karl Rosenkranz, l’un des derniers hégéliens, qui n’a pas jugé que la tâche fût au-dessous d’un philosophe. Les Anglais en ont une, en deux volumes également, et signée du nom de l’un des plus remarquables publicistes de l’Angleterre contemporaine. M. John Morley. Nous, en France, dans la patrie de Diderot, nous en sommes réduits au volume de « Monsieur Naigeon. » Sont-ce encore là peut-être de ces travaux que dédaigneraient nos érudits? travaux trop laborieux, d’un caractère encore trop littéraire, travaux enfin où les idées générales, et ce que Sainte-Beuve appelait l’aperçu risquerait de prendre trop de place? Il en est d’autres, alors, qu’ils nous doivent, et dont on ne voit pas pourtant qu’ils s’acquittent davantage : à défaut d’éditions des œuvres et de biographies des hommes, c’est affaire aux érudits de nous donner des Lexiques de la langue.

Il y en a quelques-uns : il n’y en a pas assez. Il y a un Lexique de la langue de Corneille; il y en a même deux; nous n’en demandons pas un troisième; il n’y en a pas de la langue de Pascal. Nous n’en avons pas non plus de la langue de Bossuet; nous n’en avons pas de la langue de Voltaire. S’il se trouve que nous en ayons un de la langue de Racine, et de la langue de La Bruyère, c’est un hasard heureux; parce que Racine et La Bruyère figurent dans la belle collection des Grands Écrivains de la France. Nous en voudrions davantage. Il nous en faudrait de la langue de Fénelon, si cauteleuse, il nous en faudrait, de la langue de Rousseau, si neuve à tant d’égards. Mais il nous en faudrait surtout de la langue de tant d’écrivains secondaires, — de Balzac et de Voiture, de Regnard et de Marivaux, — témoins si précieux des révolutions du style. Et de qui relève la besogne, sinon des érudits ? Et si ce n’est pas eux qui s’y attellent, ce sera donc encore quelque professeur allemand? Ils ont réduit leurs prétentions à dresser l’inventaire de l’histoire de la littérature nationale. Nous le voulons bien. Voilà donc des pièces capitales dont le manque s’y fait chaque jour sentir; et voilà des travaux dont l’achèvement importerait un peu plus