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exceptions qu’il s’agit ; et ce n’est pas pour elles que l’on organise sur un vaste plan l’éducation des filles ; les femmes supérieures se forment toute seules ; mais c’est de la moyenne qu’il est question ; et c’est aussi une moyenne générale d’instruction plus solide et plus élevée qu’il s’agit de répandre ; or cette propagation, bien loin d’étendre la maladie du bel esprit, servira plutôt à y remédier. Il est permis de dire, en effet, que c’est précisément parce que l’instruction est insuffisamment répandue que la pédanterie est à craindre chez celles qui en savent plus que les autres. Ce qui fait le ridicule de certaines femmes savantes, c’est qu’elles sont des exceptions ; c’est que, se distinguant par une certaine supériorité qui les sépare des autres femmes, elles oublient un peu leur propre sexe pour se faire honneur de ressembler à l’autre. Comme on les tourne en ridicule sous le titre de bas bleus, elles mettent leur amour-propre à exagérer ce que l’on leur reproche. Elles rendent raillerie pour raillerie, mépris pour mépris, elles font caste à part. Mais, il est permis de penser que ce travers ou disparaîtra ou s’atténuera, quand l’instruction, plus répandue, ne sera plus un privilège et une exception. Enfin, c’est une question de savoir si l’on ne produit pas précisément le ridicule dont on se plaint par l’injustice dont on frappe celles d’entre les femmes qui ont le goût de l’étude : « Si on était plus indulgent, dit l’éminent évêque d’Orléans, M. Dupanloup, dans le travail cité plus haut, si on ne frappait pas de ces stupides anathèmes les femmes qui étudient, celles qui en ont le goût s’y livreraient sans penser qu’elles font une chose extraordinaire ; et alors, fussent-elles même un petit nombre, elles communiqueraient une certaine vie à la société. Peut-être le niveau des conversations et des idées s’élèverait-il ; les choses élevées inspireraient plus d’intérêt, et vraiment qui pourrait s’en plaindre ? »

Il faut aussi reconnaître qu’il y a bien des préjugés dans les railleries et les ridicules dont on assaille dans le monde les prétendues femmes savantes. Qu’une jeune femme cite dans le monde M. de Tocqueville ou le philosophe Joubert, on trouvera cela ridicule ; mais on trouvera très bien qu’elle ait lu le dernier roman, quelque immoral qu’il soit, pourvu qu’elle ait soin de dire que c’est abominable. Une jeune fille pourra chanter dans le monde les romances les plus passionnées, on n’y trouvera rien à redire ; mais qu’elle dise une pièce de poésie, on la prendra pour une actrice. Pourquoi cela ? Pourquoi la poésie est-elle considérée comme quelque chose de plus prétentieux que la musique ? C’est une pure convention. Sans doute le monde est le maître de ses usages, et nous ne conseillons à personne de les braver. Les femmes doivent donc éviter tout ce qui paraîtrait un défi aux belles manières ; mais il est