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REVUE LITTÉRAIRE

LA FUREUR DES INÉDITS.

« Il ne se passe pas de jour sans qu’on nous annonce une découverte; chacun veut faire la sienne, chacun s’en vante et fait valoir sa marchandise sans contrôle. On attribue une importance et une valeur littéraire disproportionnée à des pages jusqu’ici inconnues. On est fier de simples trouvailles curieuses, — quand elles le sont, — qui n’exigent aucune méditation, aucun effort d’esprit, mais seulement la peine d’aller et de ramasser... Et les papiers de Conrart sont devenus une mine de gloire. » Ainsi s’exprimait Sainte-Beuve, il y a déjà plus d’un quart de siècle, déplorant l’envahissement d’une vaine et fausse érudition dans le domaine des lettres, ou même de l’histoire ; et nous ne doutons pas que, s’il avait à refaire aujourd’hui ces lignes, ayant vu tout ce que nous avons vu, bien loin d’en rien rabattre, il ne se fit une obligation de les récrire plus fortes. Car c’est vraiment depuis lors que la manie du document, jusque-là contenue dans les limites au moins de la passion, a paru dégénérer positivement en fureur. Les papiers de Conrart n’ont pas cessé d’être une mine de gloire; seulement il s’y en est joint beaucoup d’autres; et ce ne sont plus des Victor Cousin qui les ont exploités. L’un, cependant, s’est fait presque une réputation pour avoir en sa vie découvert un autographe incertain de Molière; l’autre, plus habile ou plus heureux, pour avoir publié de faux inédits de Bossuet. Si jamais ils retrouvaient les comptes de la blanchisseuse de Pascal ou du perruquier de Racine, ils passeraient certainement Sainte-Beuve. Science et conscience, finesse du goût, sûreté du tact, art de choisir, art de composer, imagination du style, bonheur