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ou à disparaître. La brigade topographique avait presque achevé le levé des pays traversés par nous. Le télégraphe reliait Bamako et notre colonie du Sénégal. On avait construit trois forts et un fortin. Nos convois cheminaient sans être inquiétés sur toute la longueur de la route que nous avions suivie : « Un Français peut y aller seul et sans armes, disait le colonel, sans avoir rien à craindre, un traitant peut y circuler librement en invoquant mon nom. » Du Maka et du Gangaran jusqu’au pays de Sibi, quinze états ou royaumes ont reconnu l’autorité de la France. Les Malinkés de la vallée du Backoy ont conclu avec nous des traités par lesquels ils se placent sous notre protectorat. Nous avions payé un lourd tribut au climat du Soudan, à l’anémie, à la fièvre, et plus d’un brave était tombé au champ d’honneur. Mais les survivans pouvaient se dire qu’ils avaient fait beaucoup de choses en peu de temps.

Faut-il croire que nous en ayons fini avec toutes les difficultés? Ne nous faisons pas cette illusion. Ne pouvant entretenir un millier d’hommes dans le Soudan, nous devons veillera ce que nos divers postes puissent communiquer rapidement entre eux et se prêter main-forte en cas d’alerte; aussi ne saurions-nous trop perfectionner notre chemin vicinal. Il importe aussi de nous assurer que, sur les deux rives du Sénégal, notre base d’opérations sera toujours à l’abri de toute insulte. Mais ce n’est pas tout. Nous ne sommes pas allés à Bamako pour avoir le plaisir d’y aller; notre but ne sera atteint que quand il nous sera permis de descendre librement le Niger, navigable en toute saison, et d’y faire passer nos chalands, au besoin, nos canonnières. Par malheur, notre incommode voisin toucouleur, le sultan Ahmadou, qui surveille d’un œil jaloux nos établissemens et nos progrès, est là pour nous barrer le passage.

Nous devons éviter une guerre avec lui, et c’est par notre éloquence que nous tâcherons de l’amener à composition. Mais nous ne serons éloquens et persuasifs que le jour où nos excellentes relations avec ses anciens sujets fétichistes lui démontreront notre force et sa faiblesse. L’intrépide docteur Bayol, envoyé par le colonel pour proposer des traités d’alliance aux braves Bambara-; du grand Bélédougou, paraît satisfait de son voyage. Peut-être, l’an prochain, tendrons-nous de nouveaux fils en envoyant une mission à Tombouctou. L’audace nous a réussi, c’est d’industrie et de patience que nous avons besoin aujourd’hui. Nous avons à faire dans le Soudan un travail d’araignée, et les araignées sont toujours attentives et infiniment patientes. Il y a des gens qui désirent que la France ne fasse rien, d’autres voudraient qu’elle fît tout à la fois et en un jour. Défions-nous également des découragés et des impatiens, des pessimistes et des bousilleurs.


G. VALBERT.