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à notre école. Sans contredit, il vaut mieux croire à Mahomet qu’à un sorcier, et Allah fait dans ce monde une plus grande figure qu’un fétiche de pierre ou de coton. Mais, au Soudan, les servans d’Allah sont les plus improgressifs des hommes, et notre civilisation leur inspire une horreur mêlée de dégoût. Au fanatisme sanguinaire, à la pieuse conviction que toute trahison est permise à l’égard de l’infidèle ou du kefir, à la férocité tranquille et satisfaite ils joignent la morgue suprême, l’immuable mépris, et rien n’est plus fatal à tout progrès que les sots mépris. Pendant le séjour que M. Mage fit à Ségou-Sikoro, où l’avait envoyé le général Faidherbe, il rencontra un chérif de la Mecque qui se plaisait à raconter que, chaque année, les Anglais et les Français vont porter humblement leur tribut à Stamboul, et que le sultan se donne le plaisir de les faire attendre dans son antichambre tout un jour et souvent plus, leur charge sur la tête. Ainsi gasconnait ce Gascon du désert, et le roi de Ségou croyait à ses histoires comme au Coran. C’est l’imagination qui gouverne le monde.

Les Peuhls ou Foulahs, au teint d’un brun rougeâtre, aux cheveux à peine laineux, aux traits presque européens, aux formes sveltes et élégantes, étaient primitivement un peuple pasteur, de mœurs assez douces, auquel on ne reprochait que d’avoir peu de respect pour le bien d’autrui. Ils ont adopté les premiers l’islamisme, et l’islamisme les a rendus conquérans. En s’alliant aux noirs Ouolofs ou Mandingues qu’ils ont vaincus, ils ont produit la race remarquable des Toucouleurs, lesquels sont devenus les convertisseurs à main armée du Soudan, De temps à autre, un marabout doué de cette autorité de caractère et de cette puissance de parole qui s’imposent aux hommes, après avoir employé quelques années à se créer des amis, des croyans, un trésor et une armée, déploie le saint étendard, répand partout par ses massacres la terreur de son nom, conquiert en quelques mois à Mahomet de vastes territoires, qui ne reconnaissent plus d’autre loi que l’insolence de ses caprices. Mais le musulman s’entend moins à conserver qu’à acquérir. Ces grands établissemens ne durent guère, ces épées victorieuses sont bientôt frappées de torpeur, ces volontés hautaines tombent en léthargie, et les empires éphémères qu’elles avaient fondés et qui se disloquent étonnent également par la rapidité de leur élévation et de leur chute.

Tel fut celui que fonda cet Oumar Al-Hadj, dont l’étoile avait pâli une première fois devant Médine et qui, après d’étonnantes victoires, périt en s’acharnant à la conquête de Tombouctou. Il légua ses états comme son titre à celui de ses fils qu’il préférait. Ahmadou règne aujourd’hui dans sa capitale de Ségou-Sikoro, à quelques lieues en aval de Bamako et de notre fort français; mais l’héritage paternel a périclité dans ses mains. Il n’a pas su organiser ses provinces, faire oublier par une