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qui, parce qu’elles ont appris plus que les autres, s’en font un rôle, se transforment en Philamintes, tiennent des bureaux d’esprit, parient philosophie à tort et à travers. Il paraît même que ce mal est assez grave pour qu’on ait cru de voir recommencer à notre usage la comédie des Femmes savantes. On n’oublie qu’une chose, c’est que Molière, en combattant des excès, avait eu soin cependant, par la bouche de l’homme d’esprit de la pièce, homme du monde et homme de cour, de prévenir tout malentendu et de bien nous faire comprendre qu’il ne blâmait que les excès, mais non l’instruction elle-même ; et il résumait sa pensée dans ce vers célèbre qu’on ne saurait trop répéter parce qu’il dit tout ce qu’il faut dire, et qu’il est la solution de la question :


Je consens qu’une femme ait des clartés de tout.


Dans les nouvelles Femmes savantes au contraire, l’auteur ne fait aucune réserve, et ne nous dit point jusqu’à quel degré une femme doit être ignorante pour éviter d’être ridicule. Cependant, il est vrai de dire qu’il y a un excès à craindre et les avertisseurs sont dans leur droit en le dénonçant d’avance pour nous apprendre à l’éviter. Un spirituel écrivain a écrit au sujet des lycées de filles un article retentissant sous ce titre : la Fin d’un sexe. Il a eu bien raison : dans un temps de libre critique et de libre parole, où tout le monde parle à la fois, on ne peut faire écouter un sage avertissement qu’en lui donnant la forme d’un paradoxe et d’une hyperbole. Quand on parle au grand air, il faut enfler la voix ; il en est de même quand on parle à tout le monde. Le cri d’alarme de M. Weiss était donc très légitime en même temps que très amusant ; mais, tout en restant une voix prophétique qui doit nous empêcher de nous égarer, il ne doit pas néanmoins être pris à la lettre, et l’auteur lui-même bien entendu ne l’a pas pris ainsi.

On fait remarquer que les femmes ont su toujours avoir de l’esprit, de la conversation et du goût sans toutes ces études qu’on veut leur faire faire aujourd’hui. On nous citera Mme de Sévigné, Mme de Staël, Mme de La Fayette, Mme de Maintenon et tant d’autres. Mais il se trouve que précisément Mme de Sévigné avait fait de très solides études : elle avait appris l’italien et même le latin avec Ménage, l’un des plus savans hommes de son temps ; Mme de Staël s’était formée dans la société la plus cultivée et la plus lettrée. Mme de Maintenon était moins instruite, mais il y avait aussi quelque chose de plus sec dans son esprit et dans son talent. En tous cas, ces divers exemples prouvent justement que la force de l’esprit ne détruit pas les séductions du sexe. Ce n’est pas d’ailleurs de ces