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du général Faidherbe. Aussi habile organisateur que vaillant soldat il l’a créée de toutes pièces. Depuis qu’il l’a quittée, nous avons occupé Bafoulabé, important village situé au confluent du Bafing et du Bakhoy, dont la réunion forme le fleuve le Sénégal. Cette occupation a été exécutée par un autre excellent gouverneur, M. Brière de l’Isle; mais c’est le général Faidherbe qui en avait conçu la pensée. L’autorité qu’il s’était acquise lui permettait de beaucoup oser, et les traités qu’il avait conclus avec de turbulens voisins étaient mieux observés qu’ils ne le sont aujourd’hui. Tout le monde se souvenait de ce fort de Médine, bâti par lui, contre lequel était venue se heurter la fortune d’un grand conquérant, du redoutable prophète Oumar Al-Hadj. Une armée de vingt-trois mille hommes bloquait Médine. Les soixante soldats qui la gardaient s’étaient héroïquement défendus durant quatre mois, mais les vivres commençaient à manquer et les cartouches aussi. Grâce à une crue inespérée, le général Faidherbe, alors lieutenant-colonel, parvint à remonter le Sénégal jusqu’à Kayes; il marcha sur Médine, canonna les assiégeans, et le Sénégal n’a plus revu le prophète qui avait attesté Allah qu’il chasserait les Français d’Afrique. Ce souvenir est resté si vivant qu’aujourd’hui encore les indigènes, désireux de se rendre agréables à quelqu’un qui vient d’accomplir une prouesse, lui disent par façon de compliment: « Vraiment tu as agi comme Faidherbe. » Cependant le général n’était pas encore satisfait de son œuvre; il estimait que la colonie était appelée à un grand avenir; et ce qui se fait à cette heure dans le Soudan n’est que l’exécution de ses desseins. Il s’était avisé le premier que le Sénégal était la route la plus directe et la plus facile pour pénétrer dans les régions centrales de l’Afrique, qu’il fallait, créer une voie commerciale reliant Saint-Louis au Niger et aboutissant à ce fleuve dans les environs de Bamako, et il avait envoyé des missions pour reconnaître le pays, pour s’aboucher avec les chefs de villages ou de royaumes. Mais il s’était gardé de rien précipiter; il avait laissé à ses successeurs le soin de mener à bien cette vaste entreprise.. Il savait que les entreprises demandent à être préparées, que la patience et l’esprit de suite sont les premières des vertus coloniales.

Le général Faidherbe écrivait en 1868 : « Il faut que le drapeau français flotte à Bafoulabé d’ici à deux ans et à Bamako dans dix ans. » Cela ne s’est pas fait aussi vite qu’il le désirait; mais il semble que nous voulions rattraper le temps perdu, et, peut-être nourrissons-nous des espérances trop ambitieuses. Nous avons décidé, dès 1881, que la voie commerciale destinée à relier le Haut-Sénégal au Niger sera une voie ferrée, laquelle n’aura pas moins de 500 kilomètres. Dans la séance du 1er août, M. le comte de Saint-Vallier a déclaré au sénat qu’il était aussi favorable que personne à L’idée d’accroître l’importance de notre colonie sénégalaise en la mettant en communication