Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

telles qu’on les dépeint dans les romans à la mode, ne brillent pas sans doute par le goût de la vie domestique ; car, où trouveraient-elles le temps des charmantes intrigues que l’on nous décrit ? En tout cas, si elles tombent, ce n’est pas par amour de la chimie et de l’histoire de France, et l’on peut avoir des amans sans rien savoir du tout. Les Frou-Frous mêmes qui ne vont pas jusqu’à la faute n’en deviennent pas pour cela de bonnes mères de famille et de bonnes épouses. Elles sont charmantes, je le veux bien ; mais au moins accordera-t-on qu’il peut, y avoir un idéal supérieur, même pour les femmes françaises, quelque effort que fasse notre littérature pour prouver aux étrangers que nous n’en connaissons pas d’autres. Le bavardage à vide, la médisance, la toilette, les courses et la promenade ne sont peut-être pas toute la destinée des femmes ni la meilleure préparation à la gestion d’un budget domestique et à l’éducation des enfans. Il peut donc y avoir une ignorance qui éloigne du ménage autant et plus que la science elle-même.

Il y a également une ignorance qui éloigne de la grâce et du charme de la femme du monde, et qui réduit la femme à son rôle le plus vulgaire et le plus humble, très nécessaire sans doute, mais qui n’est pas non plus toute sa destinée. Racine, voulant faire pénitence pour avoir trop aimé la Champmeslé, épousa une bonne femme qui n’avait pas même lu ses tragédies : ce fut une excellente ménagère, une estimable mère de famille ; mais était-elle digne d’être la femme de Racine ? Combien de femmes, à force de se renfermer dans la vie domestique et de se réduire à n’être que leur propre servante, se rendent insupportables à leur mari ! Chez elles, ce n’est pas la science et la pédanterie, c’est l’ignorance qui détruit le charme de leur sexe et qui en fait de vulgaires cendrillons.

C’est donc une erreur de croire que l’instruction bien entendue soit nécessairement ennemie du rôle utile et du rôle charmant qui revient de droit à la femme. Nous croyons au contraire que c’est l’instruction qui, en corrigeant la frivolité de la femme du monde, pourra en faire une sérieuse ménagère, une bonne mère de famille ; et c’est aussi l’instruction qui, en élevant les idées de la ménagère, en fera une femme digne d’amour et de respect. Par cela seul qu’une femme a étudié et pensé, elle comprend le vide des plaisirs mondains ; mais elle comprend en même temps que le ménage n’est pas tout, qu’il doit y avoir place pour l’esprit, pour les arts, pour la lecture, enfin qu’elle ne doit pas être seulement la servante de son mari et la nourrice de ses enfans, mais la compagne de l’un et l’institutrice des autres.

D’où vient la crainte que l’on manifeste et quels sont ces excès dont on se préoccupe ? C’est que l’on voit, dit-on, quelques femmes,