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Il conclut qu’il n’y a pas de science dont la femme ne soit capable ; il va même plus loin, et demande, que, possédant, la science au même degré que l’homme, elle puisse comme lui « remplir les dignités ecclésiastiques, être générale d’armée, exercer les charges de judicature. » Si la thèse de l’égalité a des défenseurs paradoxaux, celle de l’infériorité en a aussi qui ne le sont pas moins. On regrette d’avoir à compter J.-J. Rousseau parmi ceux-là. On devait sans doute s’attendre de sa part à quelque paradoxe, mais on eût mieux aimé le voir parmi ceux qui exagèrent que parmi ceux qui rabaissent le rôle de la femme. Selon Rousseau, l’éducation des femmes doit être toute relative aux hommes : leur rôle unique est de plaire. Jusqu’à son mariage, Sophie n’a rien appris, rien lu « qu’un Barème ou un Télémaque qui lui est tombé entre les mains. » Il affirme que « toute fille lettrée restera fille tant que les hommes resteront sensés. » Dans cet aphorisme de Rousseau, qui serait, s’il était vrai, d’un fâcheux augure pour nos nouveaux lycées, on surprend le souvenir et la secrète apologie de son triste mariage. C’est Emile qui instruit sa femme. Il lui apprend surtout l’obéissance ; mais s’il faut en croire la suite de l’Emile, cette éducation n’aurait pas trop bien tourné. De nos jours, poussant à l’extrême les idées de Rousseau, un socialiste célèbre, Proudhon, réduisait le rôle de la femme au plaisir et à la domesticité. Plus récemment encore les deux points de vue, avec leurs excès respectifs, ont été défendus en Angleterre et en Allemagne par Stuart Mîll et par Schopenhauer. Stuart Mill soutient la thèse de l’égalité absolue des hommes et des femmes. Il reproche aux hommes d’avoir réglé toutes les conditions de la vie sociale de manière à éteindre chez la femme la pensée même de l’affranchissement. Pour maintenir la femme dans son rôle « d’odalisque et de servante, » on invoque l’infirmité de sa nature, l’impossibilité pour elle de supporter la fatigue, son défaut d’originalité. Mais sa faiblesse physique vient de ce qu’elle est élevée en serre chaude ; son défaut de génie vient de la médiocrité de son éducation. M. Mill pousse à l’extrême, comme Poullain de La Barre, la doctrine de l’égalité des sexes : « Élevez-les comme l’homme disait-il, elles pourront faire tout ce que font les hommes. » À cette doctrine égalitaire s’oppose la doctrine cynique et brutale du philosophe de Francfort, Schopenhauer. Pour lui, les femmes sont de grands enfans ; la femme est myope par l’intelligence. Elle a tous les vices : l’injustice, la dissimulation, l’ingratitude, le manque de foi. L’éducation n’y fera rien, c’est une infériorité de nature ; c’est le numéro deux de l’espèce humaine. Les femmes sont faites pour le travail et la sujétion. La vraie forme du mariage, c’est la polygamie.